Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

grand nombre d’ailleurs appartenait à leur race. De sorte qu’une fois leurs répugnances pratiques vaincues, il ne fut pas difficile de les convertir théoriquement au christianisme.

Durant dix siècles, le christianisme, armé de la toute-puissance de l’Église et de l’État et sans concurrence aucune, put dépraver, abâtardir et fausser l’esprit de l’Europe. Il n’eut point de concurrents, puisqu’en dehors de l’Église il n’y eut ni penseurs ni lettrés. Elle seule pensait, elle seule parlait, écrivait, elle seule enseignait. Si des hérésies s’élevaient en son sein, elles ne s’attaquaient jamais qu’aux développements théologiques ou pratiques du dogme fondamental et non à ce dogme. La croyance en Dieu, esprit pur et créateur du monde, et la croyance en l’immatérialité de l’âme restaient en dehors. Cette double croyance devint la base idéale de toute la civilisation occidentale et orientale de l’Europe ; elle pénétra toutes les institutions, tous les détails de la vie publique et privée des castes et des masses ; elle s’y incarna, pour ainsi dire.

Peut-on s’étonner après cela que cette croyance se soit maintenue jusqu’à nos jours, continuant d’exercer son influence désastreuse sur des esprits d’élite, tels que ceux de Mazzini, de Michelet, de Quinet, de tant d’autres ? Nous avons vu que la première attaque fut dirigée contre elle par la renaissance du libre esprit au xv, qui produisit des héros et des martyrs comme Vanini, Giordano Bruno, Galilée. Bien qu’étouffée par le bruit, le tumulte et les passions de la réforme religieuse, elle continua sans bruit son travail invisible, léguant aux plus nobles esprits de chaque génération son œuvre de l’émancipation humaine par la destruction