Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/110

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et stérile des déistes. Et c’est au nom de l’Être Suprême et de l’hypocrite vertu commandée par cet Être Suprême, que Robespierre guillotina les Hébertistes d’abord, ensuite le génie même de la révolution, Danton, dans la personue duquel il assassina la république, préparant ainsi le triomphe, devenu dès lors nécessaire, de la dictature napoléonienne. Après le grand recul, la réaction idéaliste chercha et trouva des serviteurs, moins fanatiques, moins terribles, plus à la taille considérablement amoindrie de la bourgeoisie actuelle.

En France ce furent Chateaubriand, Lamartine et — faut-il le dire — Victor Hugo ! le démocrate, le républicain, le quasi-socialiste d’aujourd’hui ! et après eux toute la cohorte mélancolique, sentimentale d’esprits maigres et pâles qui constituèrent, sous la direction de ces maîtres, l’école romantique moderne. En Allemagne, ce furent les Schlegel, les Tieck, les Novalis, les Werner, ce furent Schelling et tant d’autres encore, dont les noms ne méritent pas même d’être rappelés.

La littérature créée par cette école fut le règne des revenants et des fantômes. Elle ne supportait pas le grand jour ; le clair-obscur seul lui permettait de vivre. Elle ne supportait pas non plus le contact brutal des masses. C’était la littérature des aristocrates délicats, distingués, aspirant au ciel, leur patrie, et vivant comme malgré eux sur la terre. Elle avait en horreur et en mépris la politique et les questions du jour ; mais lorsqu’elle en parlait par hasard, elle se montrait franchement réactionnaire, prenait le parti de l’Eglise contre l’insolence des libres-penseurs, des rois contre les peuples et de tous les aristosrates contre la vile canaille des rues.