Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/26

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l’être, ou plutôt de l’Être Suprême au Néant. Quand, comment et pourquoi l’Être divin, éternel, infini, le parfait absolu, probablement ennuyé de lui-même, s’est-il décidé à ce salto mortale désespéré, voilà ce qu’aucun idéaliste, ni théologien, ni métaphysicien, ni poète, n’a jamais su ni comprendre lui-même, ni expliquer aux profanes. Toutes les religions passées et présentes et tous les systèmes de philosoptie transcendants roulent sur cet unique et inique mystère[1]. De saints hommes, des législateurs inspirés, des prophètes, des messies y ont cherché la vie, et n’y ont trouvé que la torture et la mort. Comme le sphynx antique, il les a dévorés, parce qu’ils n’ont pas su l’expliquer. De grands philosophes, depuis Héraclide et Platon jusqu’à Descartes, Spinoza, Leibnitz, Kant, Fichte, Schelling et Hegel, sans parler des philosophes indous, ont écrit des monceaux de volumes et ont créé des systèmes aussi ingénieux que sublimes, dans lesquels ils ont dit en passant beaucoup de belles et de grandes choses et découvert des vérités immortelles, mais qui out laissé ce mystère, objet principal de leurs investigations transcendantes, aussi insondable qu’il l’était avant eux. Les efforts gigantesques des plus admirables génies que le monde connaisse, et qui, les uns après les autres, pendant trente siècles au moins, ont entrepris toujours de nouveau ce travail de Sisyphe, n’ont abouti qu’à rendre ce mystère plus incompréhensible encore.

  1. Je l’appelle « inique, » parce que ce mystère a été et continue encore d’être la consécration de toutes les horreurs qui se sont commises et qui se commettent dans le monde ; je l’appelle « inique, » parce que toutes les autres absurdités théologiques et métaphysiques qui abétissent l’esprit des hommes n’en sont que les conséquences nécessaires.