Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/28

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dien, privé de loisir, de commerce intellectuel, de lecture, enfin de presque tous les moyens et d’une bonne partie des stimulants qui développent la réflexion dans les hommes, le peuple accepte le plus souvent, sans critique et en bloc, les traditions religieuses. Elles l’enveloppent dès le bas âge dans toutes les circonstances de sa vie et, artificiellement entretenues en son sein par une foule d’empoisonneurs officiels de toutes sortes, prêtres et laïques, elles se transforment chez lui en une sorte d’habitude mentale, trop souvent plus puissante même que son bon sens naturel.

Il est une autre raison qui explique et qui légitime en quelque sorte les croyances absurdes du peuple. Cette raison, c’est la situation misérable à laquelle il se trouve fatalement condamné par l’organisation économique de la société, dans les pays les plus civilisés de l’Europe. Réduit, sous le rapport intellectuel et moral aussi bien que sous le rapport matériel, au minimum d’une existence humaine, enfermé dans sa vie comme un prisonnier dans sa prison, sans horizon, sans issue, sans avenir même, si l’on en croit les économistes, le peuple devrait avoir l’âme singulièrement étroite et l’instinct aplati des bourgeois pour ne point éprouver le besoin d’en sortir, mais, pour cela, il n’a que trois moyens : donc deux fantastiques et le troisième réel. Les deux premiers, sont le cabaret et l’église ; le troisième c’est la révolution sociale. Cette dernière, beaucoup plus que la propagande anti-théologique des libres-penseurs, sera capable de détruire les croyances religieuses et les habitudes de débauche dans le peuple, croyances et habitudes qui sont plus intimement liées ensemble qu’on ne le pense. Ea substituant aux Jouissances à la fois