Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La seconde raison est celle-ci : une société qui obéirait à la législation émanée d’une académie scientifique. non parce qu’elle en aurait compris elle-même le caractère rationnel, — auquel cas l’existence de l’académie deviendrait inutile, — mais, parce que cette législation, émanant de l’académie, s’imposerait au nom d’une science qu’elle vénèrerait sans la comprendre, — une telle société serait une société, non d’hommes, mais de brutes. Ce serait une seconde édition de ces missions du Paraguay qui se laissèrent gouverner si longtemps par la compagnie de Jésus. Elle ne manquerait pas de descendre bientôt au plus bas degré de l’idiotisme.

Mais il est encore une troisième raison qui rendrait un tel gouvernement impossible. C’est qu’une académie scientifique revêtue de cette souveraineté, pour ainsi dire absolue, fût-elle même composée des hommes les plus illustres, finirait infailliblement et bientôt par se corrompre elle-même, moralement et intellectuellement. C’est aujourd’hui déjà, avec le peu de privilèges qu’on leur laisse, l’histoire de toutes les académies. Le plus grand génie scientifique, du moment qu’il devient un académicien, un savant officiel, patenté, baisse inivitablement et s’endort. Il perd sa spontanéité, sa hardiesse révolutionnaire, et cette énergie incommode et sauvage qui caractérise la nature des plus grands génies, appelée toujours à détruire les mondes vieillis et à jeter les fondements des mondes nouveaux. Il gagne sans doute en politesse, en sagesse utilitaire et pratique, ce qu’il perd en puissance de pensée. Il se corrompt, en un mot.

C’est le propre du privilège et de toute position privilégiée que de tuer l’esprit et le cœur des hommes. L’homme privilégié, soit politiquement, soit économi-