Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/50

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parce qu’elle m’est imposée par ma propre raison. J’ai conscience de ne pouvoir embrasser, dans tous ses détails et ses développements positifs, qu’une très petite partie de la science humaine. La plus grande intelligence ne suffirait pas pour embrasser le tout. D’où résulte, pour la science aussi bien que pour l’industrie, la nécessité de la division et de l’association du travail. Je reçois et je donne, telle est la vie humaine. Chacun est dirigeant et chacun est dirigé à son tour. Donc il n’y a point d’autorité fixe et constante, mais un échange continu d’autorité et de subordination mutuelles, passagères et surtout volontaires.

Cette même raison m’interdit donc de reconnaître une autorité fixe, constante et universelle, parce qu’il n’y a point d’homme universel, d’homme qui soit capable d’appliquer son intelligence dans cette richesse de détails sans laquelle l’application de la science à la ve n’est point possible, à toutes les sciences, à toutes les branches de l’activité sociale. Et, si une telle universalité pouvait jamais se trouver réalisée dans un seul homme, et s’il voulait s’en prévaloir pour nous imposer son autorité, il faudrait chasser cet homme de la société, parce que son autorité réduirait inévitablement tous les autres à l’esclavage et a l’imbécillité. Je ne pense pas que la société doive maltraiter les hommes de génie comme elle l’a fait jusqu’à présent ; mais je ne pense pas non plus qu’elle doive trop les engraisser, ni leur accorder surtout des privilèges ou des droits exclusifs quelconques ; et cela pour trois raisons : d’abord parce qu’il lui arriverait souvent de prendre un charlatan pour un homme de génie ; ensuite parce que, grâce à ce système de privilèges, elle pourrait transformer en un charlatan