Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/70

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quent ni l’esprit, ni le cœur, ni la bonne volonté, et qui ont voué leur existence entière au service de l’humanité, comment se fait-il qu’ils s’obstinent à rester parmi les représentants d’une doctrine désormais condamnée et déshonorée ?

Il faut qu’ils y soient poussés par une raison très puissante. Ce ne peut être ni la logique, ni la science, puisque la logique et la science ont prononcé leur verdict contre la doctrine idéaliste. Ce ne peuvent être non plus des intérêts personnels, puisque ces hommes sont infiniment élevés au-dessus de tout ce qui porte ce nom. Il faut donc que ce soit une puissante raison morale. Laquelle ? Il ne peut y en avoir qu’une. Ces hommes illustres pensent sans doute que les théories ou les croyances idéales sont essentiellement nécessaires à la dignité et à la grandeur morale de l’homme, et que les théories matérialistes, au coatraire, le rabaissent au niveau des bêtes.

— Et si c’était l’opposé qui fût vrai ?

Tout développement, ai-je dit, implique la négation du point de départ. La base ou le point de départ, selon l’école matérialiste, étant matérielle, la négation doit être nécessairement idéale. Partant de la totalité du monde réel, ou de ce quon appelle abstractivement la matière, elle arrive logiquement à l’idéalisation réelle, c’est-à-dire à l’humanisation, à l’émancipation pleine et entière de la société. Par contre et par la même raison, la base et le point de départ de l’école idéaliste étant l’idéal, elle arrive forcément à la matérialisition de la société, à l’organisation d’un despotisme brutal et d’une exploitation inique et ignoble, sois la forme de l’Église et de l’État. Le développement historique de l’homme, selon l’école matérialiste, est une ascension progressive