Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/79

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cela même, en quelque sorte, une négation de la vie réelle. La science ne peut saisir et nommer dans les faits réels que leur sens général, leurs rapports, leurs lois ; en un mot, ce qui est permanent dans leurs inforrations continues, mais jamais leur côté matériel, individuel, pour ainsi dire palpitant de réalité et de vie, et par cela même fugitif et insaisissable. La science comprend la pensée de la réalité, non de la réalité elle-même ; la pensée de la vie, non la vie. Voilà sa limite, la seule limite vraiment infranchissable pour elle, parce qu’elle est fondée sur la nature même de la pensée, qui est l’unique organe de la science.

Sur cette nature se fondent les droits incontestables et la grande mission de la science, mais aussi son impuissance vitale et même son action malfaisante, toutes les fois que, par ses représentants officiels, patentés, elle s’arroge de droit de gouverner la vie. La mission de la science est de constater les rapports généraux des choses passagères et réelles : en reconnaissant les lois générales qui sont inhérentes au développement des phénomènes du monde physique et du monde social, elle plante pour ainsi dire les jalons immuables de la marche progressive de l’humanité, en indiquant les conditions générales, dont l’observation rigoureuse est nécessaire et dont l’ignorance ou l’oubli sera toujours fatal. En un mot, la science, c’est la boussole de la vie ; mais ce n’est pas la vie. La science est immuable, impersonnelle, générale, abstraite, insensible, comme les lois dont elle n’est que la reproduction idéale, réfléchie ou mentale, c’est-à-dire cérébrale (pour nous rappeler que la science elle-même n’est qu’un produit matériel d’un organe matériel, du cerveau). La