Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/80

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vie est toute fugitive et passagère, mais aussi toute palpitante de réalité et d’individualité, de sensibilité, de souffrances, de joies, d’aspirations, de besoins et de passions. C’est elle seule qui, spontanément, crée les choses et les êtres réels, La science ne crée rien, elle constate et reconnait seulement les créations de la vie. Et toutes les fois que les hommes de science, sortant de leur monde abstrait, se mêlent de création vivante dans le monde réel, tout ce qu’ils proposent ou tout ce qu’ils créent, est pauvre, ridiculement abstrait, privé de sang et de vie, mort-né, pareil à l’homunculus créé par Wagner, le disciple pédant de l’immortel docteur Faust. Il en résulte que la science a pour mission unique d’éclairer la vie, non de la gouverner.

Le gouvernement de la science et des hommes de la science, fussent-ils même des positivistes, des disciples d’Auguste Comte, ou encore des disciples de l’école doctrinaire du communisme allemand, ne peut être qu’impuissant, ridicule, inhumain, cruel, oppressif, exploiteur, malfaisant. On peut dire des hommes de science, comme tels, ce que j’ai dit des théologiens et métaphysiciens : ils n’ont ni sens, ni cœur pour les êtres individuels et vivants. On ne peut pas même leur en faire un reproche, car c’est la conséquence naturelle de leur métier. En tant qu’hommes de science, ils ne peuvent prendre intérêt qu’aux généralités, aux lois absolues, et n’ont pas à faire cas d’autre chose.

L’individualité réelle et vivante n’est perceptible que pour une autre individualité vivante, non pour une individualité pensante, non pour l’homme qui par une série d’abstractions, se met en dehors et au dessus du contact immédiat de la vie ; elle ne peut exister pour