Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/81

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eux que comme un exemplaire plus ou moins parfait de l’espèce, c’est à dire d’une abstraction déterminée. Si c’est un lapin, par exemple, plus l’exemplaire sera beau, et plus le savant le disséquera avec bonheur dans l’espérance de pouvoir faire ressortir de cette destruction même la nature générale, la loi de l’espèce.

Si nul ne s’y opposait, ne se trouverait-il pas encore de nos jours nombre de fanatiques, capables de faire les mêmes expériences sur l’homme ? Et si pourtant les savants naturalistes ne dissèquent pas l’homme vivant, ce n’est pas la science, ce sont les protestations tout-puissantes de la vie qui les ont arrêtés. Quoiqu’ils passent à l’étude les trois quarts de leur existence et que, dans l’organisation actuelle, ils forment une sorte de monde à part, — ce qui nuit à la fois à la santé de leur corps et à celle de leur esprit, — ils ne sont pas exclusivement les hommes de la science, mais ils sont aussi plus ou moins les hommes de la vie.

Toutefois il ne faut pas s’y fier. Si l’on peut être à peu près sûr qu’un savant n’oserait traiter un homme aujourd’hui comme il traite un lapin, il reste toujours à craindre que le corps des savants ne soumette les hommes vivants à des expériences scientifiques, sans doute intéressantes, mais qui n’en seraient pas moins désagréables pour leurs victimes. S’ils ne peuvent faire des expériences sur le corps des individus, ils ne demanderont pas mieux que d’en faire sur le corps social, et voilà ce qu’il faut absolument empêcher.

Dans leur organisation actuelle, monopolisant la science et restant ainsi en dehors de la vie sociale, les savants forment une caste à part, offrant beaucoup d’analogie avec la caste des prêtres. L’abstraction scientifique