Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/82

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est leur Dieu, les individualités sont leurs victimes et ils en sont les sacrificateurs patentés.

La science ne peut sortir de la sphère des abstractions. À cet égard, elle est très inférieure à l’art, qui lui aussi, n’a proprement à faire qu’à des types généraux et des situations générales, mais qui les incarne, par un artifice qui lui est propre. Sans doute, ces formes de l’art ne sont pas la vie, mais elles n’en provoquent pas moins dans notre imagination le souvenir et le sentiment de la vie ; l’art individualise en quelque sorte les types et les situations qu’il conçoit ; au moyen d’individualités sans chair et sans os, et par conséquent permanentes et immortelles, qu’il a le pouvoir de créer, il nous rappelle les individualités vivantes, réelles, qui apparaissent et disparaissent à nos yeux. L’art est donc en quelque sorte le retour de l’abstraction à la vie. La science est au contraire l’immolation perpétuelle de la vie, fugitive, passagère, mais réelle, sur l’autel des abstractions éternelles.

La science est aussi peu capable de saisir l’individualité d’un homme que celle d’un lapin. Ce n’est pas qu’elle ignore le principe de l’individualité ; — elle la conçoit parfaitement comme principe, mais non comme fait. Elie sait fort bien que toutes les espèces animales, y compris l’espèce humaine, n’ont d’existence réelle que dans un nombre indéfini d’individus, naissant et mourant pour faire place à de nouveaux individus, également fugitifs. Elle sait qu’en s’élevant des espèces animales aux espèces supérieures, le principe de l’individualité se détermine davantage ; les individus apparaissent plus complets et plus libres. Elle sait que l’homme, le dernier et le plus parfait animal de cette terre, présente l’individua-