Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tions, d’ailleurs toujours très lucratives pour ceux qui les réprésentent en chair et os. La science positive, reconnaissant son incapacité absolue de concevoir les individus réels et de s’intéresser à leur sort, doit définitivement et absolument renoncer au gouvernement des sociétés, car si elle s’en mêlait, elle ne pourrait faire autrement que de sacritier toujours les hommes vivants, qu’elle ignore, à des abstractions qui font l’unique objet de ses légitimes préoccupations.

La vraie science de l’histoire n’existe pas encore ; c’est à peine si on commence à en entrevoir aujourd hui les conditions extrêmement compliquées. Mais supposons-la définitivement faite, que pourra-t-elle nous donner ? Elle rétablira le tableau fidèle et raisonné du développement naturel des conditions générales, matérielles et idéales, économiques, politiques et sociales, religieuses, philosophiques, esthétiques et scientifiques des sociétés qui eurent une histoire. Mais ce tableau universel de la civilisation humaine, si détaillé qu’il soit, ne pourra jamais contenir que des appréciations générales et par conséquent abstraites. Les milliards d’individus qui ont fourni la matière vivante et souffrante de cette histoire à la fois triomphante et lugubre, — triomphante par l’immense hécatombe de victimes humaines « écrasées sous son char » — ces milliards d’obscurs individus, sans lesquels aucun des grands résultats abstraits de l’histoire n’eût été obtenu — et qui, notons le bien, n’ont jamais profité d’aucun de ces résultats, — ne trouveront pas même la moindre place dans nos annales. Ils ont vécu et ils ont été sacrifiés pour le bien de l’humanité abstraite, voilà tout ! Faudra-t-il en faire reproche à la science de l’his-