Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/89

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dehors de la vie de tous, ayant pour représentant un corps de savants brévetés, et il faut qu’elle se fonde et se répande dans les masses. La science étant appelée désormais à représenter la conscience collective de la société, doit réellement devenir la propriété de tout le monde. Par là, sans rien perdre de son caractère universel, dont elle ne pourra jamais se départir sous peine de cesser d’être la science, et tout en continuant de s’occuper exclusivement des causes générales, des conditions et des rapports fixes des individus et des choses, elle se fondra dans la vie immédiate et réelle de tous les individus. Ce sera un mouvement analogue à celui qui fit dire aux prédicateurs lors du commencement de la réforme religieuse, qu’il n’y avait plus besoin de prêtres pour un homme devenu désormais son propre prêtre, tout homme, grâce à l’intervention invisible du Seigneur Jésus-Christ, étant enfin parvenu à avaler son bon Dieu.

Mais ici, il ne s’agit ni de Jésus-Christ, ni de bon Dieu, ni de liberté politique, ni de droit juridique, toutes choses théologiquement ou métaphysiquement révélées, et toutes également indigestes. Le monde des abstractions scientifiques n’est point révélé ; il est inhérent au monde réel, dont il n’est que l’expression et la représentation générale ou abstraite. Sans qu il forme une région séparée, représentée spécialement par le corps des savants, ce monde idéal nous menace de prendre, à l’égard du monde réel, la place du bon Dieu, réservant à ses représentants patentés l’office de prêtres. C’est pour cela qu’il faut dissoudre l’organisation spéciale des savants par l’instruction générale, égale pour tous et pour toutes, afin que les masses, cessant d’être des trou-