Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/90

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peaux menés et tondus par des prêtres privilégiés, puissent prendre en leurs mains la direction de leurs destinées.[1]

Mais tant que les masses ne seront pas arrivées à ce degré d’instruction, faudra-t-il qu’elles se laissent gouverner par les hommes de science ? Non, certes. Il vaudrait mieux pour elles se passer de science que de se laisser gouverner par des savants, Le gouvernement de ces hommes aurait pour première conséquence de rendre la science inaccessible au peuple, parce que les institutions actuelles de la science sont essentiellement aristocratiques. L’aristocratie savante ! au point de vue pratique, la plus implacable, et au point de vue social, la plus vaniteuse et la plus insultante : tel serait le pouvoir constitué au nom de la science. Ce régime serait capable de paralyser la vie et le mouvement de la société. Les savants, toujours présomptueux, toujours suffissants et toujours impuissants, voudraient se mêler de tout, et les sources de la vie se dessécheraient-sous leur souffle d’abstractions.

Encore une fois, la vie, non la science, crée la vie ; l’action spontanée du peuple lui-même peut seule créer la liberté. Sans doute, il serait fort heureux que la science pût, dès aujourd’hui, éclairer la marche spontanée

  1. La science, en devenant le patrimoine de tout le monde, se mariera en quelque sorte à la vie immédiate et réelle de chacun. Elle gagnera en utilité et en grâce ce qu’elle aura perdu en orgueil, en ambition et en pédanterie doctrinaire. Ce qui n’empêchera pas sans doute, que des hommes de génie, mieux organisés pour les spéculations scientifiques que la majorité de leurs contemporains, ne s’adonnent exclusivement à la culture des sciences et ne rendent de grands services à l’humanité. Seulement ils n’auront point à ambitionner d’autre influence sociale que l’influence naturelle exercée sur son milieu par toute intelligence supérieure, ni d’autre récompense que la satisfaction d’uu noble entraînement.