Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/91

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du peuple vers son émancipation. Mais mieux vaut l’absence de lumière qu’une lumière tremblante et incertaine, ne servant qu’à égarer ceux qui la suivent. Ce n’est pas en vain que le peuple a parcouru une longue carrière historique et qu’il a payé ses erreurs par des siècles de misère. Le résumé pratique de ses douloureuses expériences constiue une sorte de science traditionnelle, qui, à certains égards, vaut bien la science théorique. Enfin une partie de la jeunesse, ceux d’entre les bourgeois studieux qui se sentiront assez de haine contre le mensonge, l’hypocrisie, l’injustice et la lâcheté de la bourgeoisie, pour trouver en eux-mêmes le courage de lui tourner le dos, et assez de passion pour embrasser sans réserve la cause juste et humaine du prolétariat, — ceux-là seront, comme je l’ai déjà dit, les instructeurs fraternels du peuple ; grâce à eux, on n’aura que faire du gouvernement des savants.

Si le peuple doit se garder du gouvernement des savants, à plus forte raison doit-il se prémunir contre celui des idéalistes inspirés.

Plus les croyants et les prêtres du ciel sont sincères, plus ils deviennent dangereux. L’abstraction scientifique, ai-je dit, est une abstraction rationnelle, vraie dans son essence, nécessaire à la vie, dont elle est la représentation théorique, ou, si l’on préfère, la conscience. Elle peut, elle doit être absorbée et dirigée par la vie. L’abstraction idéaliste, Dieu, est un poison corrosif qui détruit et décompose la vie, qui la fausse et la tue. L’orgueil des savants, n’étant rien qu’une arrogance personnelle, peut être ployé et brisé. L’orgueil des idéalistes, n’étant point personnel, mais divin, est irascible et implacable : il peut, il doit mourir, mais il ne cédera ja-