Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/94

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jamais vu ni pu voir l’esprit pur, détaché de toute forme matérielle, existant séparément d’un corps animal quelconque. Mais si personne ne l’a vu, comment les hommes ont-ils pu arriver à croire à son existence ? Le fait de cette croyance est certain et, sinon universel, comme le prétendent tous les idéalistes, au moins très général, et comme tel, il est tout-à-fait digne de notre extrême attention. Une croyance générale, si sotte qu’elle soit, exerce une influence trop puissante sur la destinée des hommes, pour qu’il puisse être permis de l’ignorer ou d’en faire abstraction.

Cette croyance s’explique d’ailleurs d’une manière rationnelle. L’exemple que nous offrent les enfants et les adolescents, voire même beaucoup d’hommes qui ont dépassé de bien des années l’âge de majorité, nous prouve que l’homme peut exercer longtemps ses facultés mentales avant de se rendre compte de la manière dont il les exerce. Dans cette période du fonctionnement de l’esprit inconscient de lui-même, de cette action de l’intelligence naïve ou croyante, l’homme, obsédé par

    porelles disparaissent, tout ce qui est corporel, matériel, devant apparaître commne indifférent, également, absolument grossier. L’abime qui sépare l’âme du corps, l’absolue immatérialité de la matérialité absolue, est infini. Par conséquent, toutes les différences, inexplicables d’ailleurs, et logiquement impossibles, qui pourraient exister de l’autre côté de l’abime, dans la matière, doivent être pour l’âme nulles et non avenues et ne peuvent ni ne doivent exercer sur elle aucune influence. En un mot, l’absolument immatériel ne peut être contraint, emprisonné et encore moins exprimé à quelque degré que ce soit par l’absolument matériel. De toutes les imaginations grossières et matérialistes, dans le sens attaché à ce mot par les idéalistes, c’est-à-dire brutales, qui ont été engendrées par l’ignorance et par la stupidité primitive des hommes, celle d’une âme immatérielle, emprisonnée dans un corps matériel, est certainement la plus grossière, la plus stupide, et rien ne prouve mieux la toute-puissance, exercée même sur les meilleurs esprits, par des préjugés antiques, que de voir des hommes doués d’une haute intelligence parler encore de cette bizarre union.