Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/226

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laquelle ils appartenaient. Et que fîtes-vous ! Pris de peur, vous avez reculé devant les vociférations forcées de la presse salariée de Pétersbourg et de Moscou, qui est soutenue par la masse des plantateurs abrutis et par la majorité de ces disciples de Biélinski, de Granovski et des tiens, Herzen, qui ont fait banqueroute morale, enfin, par la majorité de ces humanistes esthéticiens dont les théories idéalistes, hélas, durent s’effacer sous la pression de la réalité officielle et malpropre russe. Tu as faibli, Herzen, déconcerté par la trahison, qu’avec ta perspicacité tu aurais dû prévoir si ton esprit logique et clairvoyant n’eût été obscurci par la faiblesse de ton cœur. Aujourd’hui encore, tu ne peux en revenir ; tu ne peux t’en consoler, t’oublier… Dans tes paroles résonne une note qui accuse la tristesse, l’irritation, l’outrage… Et tu persistes toujours, tu ne te lasses pas de prêcher à ceux-là mêmes ; tu fais appel à leur conscience comme tu en appelles à celle de l’empereur, au lieu de te débarrasser de tout ce monde une fois pour toutes, en lui tournant le dos, et de porter tes regards vers un auditoire nouveau, vers la jeunesse russe qui, avec son cœur franc, son esprit étendu et son vouloir d’action, seule est capable de te comprendre. Tu trahis ta cause par excès de tendresse pour ces vieux pécheurs, tes amis d’autrefois. Tu ne t’occupes que d’eux ; tu te prodigues pour eux, et pour eux tu cherches à te rapetisser en te consolant par cette idée que « nous avons vécu les temps les plus durs, et que, bientôt, au son de votre Cloche accourront, en désertant le troupeau patriotique, vos enfants prodigues aux cheveux blancs et à la tête chauve » (1er décembre, p. 1710). En attendant, « pour le succès de la propagande pratique », tu te voues à une tâche péni-