Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/234

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l’industrie moderne, comme si nous étions plus grands et plus heureux aujourd’hui que du temps de Henri IV, de Louis XIV et de Louis XV, qui tous ont imprimé le cachet de leur règne aux Aigues. Quel palais, quel château royal, quelles habitations, quels beaux ouvrages d’art, quelles étoffes brochées d’or laisserons-nous ? Les jupes de nos grand’mères sont aujourd’hui recherchées pour couvrir nos fauteuils. Usufruitiers égoïstes et ladres, nous rasons tout, et nous plantons des choux là où s’élevaient des merveilles. Hier, la charrue a passé sur Persan qui mit à sec la bourse du chancelier Maupeou, le marteau a démoli Montmorency qui coûta des sommes folles à l’un des Italiens groupés autour de Napoléon ; enfin, le Val, création de Regnault-Saint-Jean-d’Angely, Cassan, bâti pour une maîtresse du prince de Conti, en tout quatre habitations royales, viennent de disparaître dans la seule vallée de l’Oise. Nous préparons autour de Paris la campagne de Rome pour le lendemain d’un saccage dont la tempête soufflera du Nord sur nos châteaux de plâtre et nos ornements en carton-pierre.

Vois, mon très-cher, où vous conduit l’habitude de tartiner dans un journal, voilà que je fais une espèce d’article. L’esprit aurait-il donc, comme les chemins, ses ornières ? Je m’arrête, car je vole mon gouvernement, je me vole moi-même, et vous pourriez bâiller. La suite à demain. J’entends le second coup de cloche qui m’annonce un de ces plantureux déjeûners dont l’habitude est depuis longtemps perdue, à l’ordinaire s’entend, par les salles à manger de Paris.

Voici l’histoire de mon Arcadie. En 1815, est morte aux Aigues l’une des impures les plus célèbres du dernier siècle, une cantatrice oubliée par la guillotine et par l’aristocratie, par la littérature et par la finance, après avoir tenu à la finance, à la littérature, à l’aristocratie, et avoir frôlé la guillotine ; oubliée comme beaucoup de charmantes vieilles femmes qui s’en vont expier à la campagne leur jeunesse adorée, et qui remplacent leur amour perdu par un autre, l’homme par la nature. Ces femmes vivent avec les fleurs, avec la senteur des bois, avec le ciel, avec les effets du soleil, avec tout ce qui chante, frétille, brille et pousse, les oiseaux, les lézards, les fleurs et les herbes ; elles n’en savent rien, elles ne se l’expliquent pas, mais elles