Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/622

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moi-même… Oh ! mais c’est un poëme qui ne peut être compris que par nous autres femmes ! Enfin, le jour de mon triomphe arrive. Vraiment le cœur me battait de joie, j’étais comme un enfant ! tout ce qu’on est à vingt-deux ans. Mon mari m’allait venir prendre pour une promenade aux Tuileries ; il entre, je le regarde toute joyeuse, il ne remarque rien… Eh bien ! je puis l’avouer aujourd’hui, ce fut un de ces affreux désastres… Non, je n’en dirai rien, monsieur que voici se moquerait.

Je protestai par un autre geste.

— Ce fut, dit-elle en continuant (une femme ne renonce jamais à ne pas tout dire), de voir s’écrouler un édifice bâti par une fée. Pas la moindre surprise. Nous montons en voiture. Adolphe me voit triste, il me demande ce que j’ai ; je lui réponds comme nous répondons quand nous avons le cœur serré par ces petites misères : ─ Rien ! Et il prend son lorgnon, et il lorgne les passants le long des Champs-Élysées, nous devions faire un tour de Champs-Élysées avant de nous promener aux Tuileries. Enfin, l’impatience me prend, j’avais un petit mouvement de fièvre et, quand je rentre, je me compose pour sourire. ─ Tu ne m’as rien dit de ma toilette ? ─ Tiens, c’est vrai, tu as une robe à peu près pareille à celle de madame de Fischtaminel. Il tourne sur ses talons et s’en va. Le lendemain je boudais un peu, vous le pensez bien. Arrive, au moment où nous avions fini de déjeuner dans ma chambre au coin de mon feu, je m’en souviendrai toujours, arrive l’ouvrière qui venait chercher le prix du petit châle de cou, je la payai ; elle salue mon mari comme si elle le connaissait. Je cours après elle sous prétexte de lui faire acquitter sa note, et je lui dis : ─ Vous lui avez fait payer moins cher le châle de madame de Fischtaminel. ─ Je vous jure, madame, que c’est le même prix, monsieur n’a pas marchandé. Je suis revenue dans ma chambre, et j’ai trouvé mon mari sot comme…

Elle s’arrêta, reprit : ─ Comme un meunier qu’on vient de faire évêque. ─ Je comprends, mon ami, que je ne serai jamais qu’à peu près pareille à madame de Fischtaminel. ─ Je vois ce que tu veux me dire à propos de ce châle ! Eh bien, oui, je le lui ai offert pour le jour de sa fête. Que veux-tu ? nous avons été très-amis autrefois… ─ Ah ! vous avez été jadis encore plus liés qu’aujourd’hui ? Sans répondre à cela, il me dit : ─ Mais c’est purement moral. Il prit son chapeau, s’en alla, et me laissa seule