Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/165

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— Mone proxès ?…

— Tiens, cousin, voici ce qu’on appelle une marcheuse.

Léon montra l’une de ces superbes créatures qui à vingt-cinq ans en ont déjà vécu soixante, d’une beauté si réelle et si sûre d’être cultivée qu’elles ne la font point voir. Elle était grande, marchait bien, avait le regard assuré d’un dandy, et sa toilette se recommandait par une simplicité ruineuse.

— C’est Carabine, dit Bixiou qui fit ainsi que le peintre un léger salut de tête auquel Carabine répondit par un sourire.

— Encore une qui peut faire destituer ton préfet.

Uné marcheuzze ; mais qu’est-ce donc ?

— La marcheuse est ou un rat d’une grande beauté que sa mère, fausse ou vraie, a vendu le jour où elle n’a pu devenir ni premier, ni second, ni troisième sujet de la danse, et où elle a préféré l’état de coryphée à tout autre, par la grande raison qu’après l’emploi de sa jeunesse elle n’en pouvait pas prendre d’autre ; elle aura été repoussée aux petits théâtres où il faut des danseuses, elle n’aura pas réussi dans les trois villes de France où il se donne des ballets, elle n’aura pas eu l’argent ou le désir d’aller à l’étranger, car, sachez-le, la grande école de danse de Paris fournit le monde entier de danseurs et de danseuses. Aussi pour qu’un rat devienne marcheuse, c’est-à-dire figurante de la danse, faut-il qu’elle ait eu quelque attachement solide qui l’ait retenue à Paris, un homme riche qu’elle n’aimait pas, un pauvre garçon qu’elle aimait trop. Celle que vous avez vue passer, qui se déshabillera, se rhabillera peut-être trois fois ce soir, en princesse, en paysanne, en tyrolienne, etc., a quelque deux cents francs par mois.

— Elle est mieux mise què notte prreffète

— Si vous alliez chez elle, dit Bixiou, vous y verriez femme de chambre, cuisinière et domestique, elle occupe un magnifique appartement rue Saint-Georges, enfin elle est, dans les proportions des fortunes françaises d’aujourd’hui avec les anciennes, le débris de la fille d’Opéra du dix-huitième siècle. Carabine est une puissance, elle gouverne en ce moment Du Tillet, un banquier très-influent à la Chambre…

— Et au-dessus de ces deux échelons du ballet, qu’y a-t-il donc ? demanda Gazonal.

— Regarde ! lui dit son cousin en lui montrant une élégante calèche qui passait au bout du boulevard, rue Grange-Batelière,