Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/110

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cette circonstance qui n’échappa certes point à sa prétendue mère. Mais Marie pressa légèrement le marquis, et sembla se réfugier par un regard dans son cœur, comme dans le seul asile qu’elle eût sur terre. Le front du jeune homme s’éclaircit alors en savourant l’émotion que lui fit éprouver le geste par lequel sa maîtresse lui avait révélé, comme par mégarde, l’étendue de son attachement. Une inexplicable peur avait fait évanouir toute coquetterie, et l’amour se montra pendant un moment sans voile. Ils se turent comme pour prolonger la douceur de ce moment. Malheureusement au milieu d’eux madame du Gua voyait tout ; et, comme un avare qui donne un festin, elle paraissait leur compter les morceaux et leur mesurer la vie. En proie à leur bonheur, les deux amants arrivèrent, sans se douter du chemin qu’ils avaient fait, à la partie de la route qui se trouve au fond de la vallée d’Ernée, et qui forme le premier des trois bassins à travers lesquels se sont passés les événements qui servent d’exposition à cette histoire. Là, Francine aperçut et montra d’étranges figures qui semblaient se mouvoir comme des ombres à travers les arbres et dans les ajoncs dont les champs étaient entourés. Quand la voiture arriva dans la direction de ces ombres, une décharge générale, dont les balles passèrent en sifflant au-dessus des têtes, apprit aux voyageurs que tout était positif dans cette apparition. L’escorte tombait dans une embuscade.

À cette vive fusillade, le capitaine Merle regretta vivement d’avoir partagé l’erreur de mademoiselle de Verneuil, qui, croyant à la sécurité d’un voyage nocturne et rapide, ne lui avait laissé prendre qu’une soixantaine d’hommes. Aussitôt le capitaine, commandé par Gérard, divisa la petite troupe en deux colonnes pour tenir les deux côtés de la route, et chacun des officiers se dirigea vivement au pas de course à travers les champs de genêts et d’ajoncs, en cherchant à combattre les assaillants avant de les compter. Les Bleus se mirent à battre à droite et à gauche ces épais buissons avec une intrépidité pleine d’imprudence, et répondirent à l’attaque des Chouans par un feu soutenu dans les genêts, d’où partaient les coups de fusil. Le premier mouvement de mademoiselle de Verneuil avait été de sauter hors de la calèche et de courir assez loin en arrière pour s’éloigner du champ de bataille ; mais, honteuse de sa peur, et mue par ce sentiment qui porte à se grandir aux yeux de l’être aimé, elle demeura immobile et tâcha d’examiner froidement le combat.