Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/219

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— Eh ! messieurs, dit l’abbé Gudin d’une voix tonnante, songez donc que si vous êtes si empressés, vous gâterez tout au jour de la victoire. Le Roi ne sera-t-il pas obligé de faire des concessions aux révolutionnaires ?

— Aux jacobins, s’écria le contrebandier. Ah ! que le Roi me laisse faire, je réponds d’employer mes mille hommes à les pendre, et nous en serons bientôt débarrassés.

— Monsieur de Cottereau, reprit le marquis, je vois entrer quelques personnes invitées à se rendre ici. Nous devons rivaliser de zèle et de soins pour les décider à coopérer à notre sainte entreprise, et vous comprenez que ce n’est pas le moment de nous occuper de vos demandes, fussent-elles justes.

En parlant ainsi, le marquis s’avançait vers la porte, comme pour aller au-devant de quelques nobles des pays voisins qu’il avait entrevus ; mais le hardi contrebandier lui barra le passage d’un air soumis et respectueux.

— Non, non, monsieur le marquis, excusez-moi ; mais les jacobins nous ont trop bien appris, en 1793, que ce n’est pas celui qui fait la moisson qui mange la galette. Signez-moi ce chiffon de papier, et demain je vous amène quinze cents gars ; sinon, je traite avec le premier Consul.

Après avoir regardé fièrement autour de lui, le marquis vit que la hardiesse du vieux partisan et son air résolu ne déplaisaient à aucun des spectateurs de ce débat. Un seul homme assis dans un coin semblait ne prendre aucune part à la scène, et s’occupait à charger de tabac une pipe en terre blanche. L’air de mépris qu’il témoignait pour les orateurs, son attitude modeste, et le regard compatissant que le marquis rencontra dans ses yeux, lui firent examiner ce serviteur généreux, dans lequel il reconnut le major Brigaut ; le chef alla brusquement à lui.

— Et toi, lui dit-il, que demandes-tu ?

— Oh ! monsieur le marquis, si le Roi revient, je suis content.

— Mais toi ?

— Oh ! moi… Monseigneur veut rire.

Le marquis serra la main calleuse du Breton, et dit à madame du Gua, dont il s’était rapproché : — Madame, je puis périr dans mon entreprise avant d’avoir eu le temps de faire parvenir au Roi un rapport fidèle sur les armées catholiques de la Bretagne. Si vous voyez la Restauration, n’oubliez ni ce brave homme ni le baron du Guénic.