Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/220

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du guénic. Il y a plus de dévouement en eux que dans tous ces gens-là.

Et il montra les chefs qui attendaient avec une certaine impatience que le jeune marquis fît droit à leurs demandes. Tous tenaient à la main des papiers déployés, où leurs services avaient sans doute été constatés par les généraux royalistes des guerres précédentes, et tous commençaient à murmurer. Au milieu d’eux, l’abbé Gudin, le comte de Bauvan, le baron du Guénic se consultaient pour aider le marquis à repousser des prétentions si exagérées, car ils trouvaient la position du jeune chef très-délicate.

Tout à coup le marquis promena ses yeux bleus, brillants d’ironie, sur cette assemblée, et dit d’une voix claire ? — Messieurs, je ne sais pas si les pouvoirs que le Roi a daigné me confier sont assez étendus pour que je puisse satisfaire à vos demandes. Il n’a peut-être pas prévu tant de zèle, ni tant de dévouement. Vous allez juger vous-même de mes devoirs, et peut-être saurai-je les accomplir.

Il disparut et revint promptement en tenant à la main une lettre déployée, revêtue du sceau et de la signature royale.

— Voici les lettres patentes en vertu desquelles vous devez m’obéir, dit-il. Elles m’autorisent à gouverner les provinces de Bretagne, de Normandie, du Maine et de l’Anjou, au nom du Roi, et à reconnaître les services des officiers qui se seront distingués dans ses armées.

Un mouvement de satisfaction éclata dans l’assemblée. Les Chouans s’avancèrent vers le marquis, en décrivant autour de lui un cercle respectueux. Tous les yeux étaient attachés sur la signature du Roi. Le jeune chef, qui se tenait debout devant la cheminée, jeta les lettres dans le feu, où elles furent consumées en un clin d’œil.

— Je ne veux plus commander, s’écria le jeune homme, qu’à ceux qui verront un Roi dans le Roi, et non une proie à dévorer. Vous êtes libres, messieurs, de m’abandonner…

Madame du Gua, l’abbé Gudin, le major Brigaut, le chevalier du Vissard, le baron du Guénic, le comte de Bauvan enthousiasmés, firent entendre le cri de vive le Roi ! Si d’abord les autres chefs hésitèrent un moment à répéter ce cri, bientôt entraînés par la noble action du marquis, ils le prièrent d’oublier ce qui venait de se passer, en l’assurant que, sans lettres patentes, il serait toujours leur chef.