Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/321

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ajoutant un écu. Suis-je encore bien loin de chez monsieur Benassis ? demanda-t-il quand il fut à cheval.

— Oh ! non, mon cher monsieur, tout au plus une petite lieue.

Le commandant partit, convaincu qu’il lui restait deux lieues à faire. Néanmoins il aperçut bientôt à travers quelques arbres un premier groupe de maisons, puis enfin les toits du bourg ramassés autour d’un clocher qui s’élève en cône et dont les ardoises sont arrêtées sur les angles de la charpente par des lames de fer-blanc étincelant au soleil. Cette toiture, d’un effet original, annonce les frontières de la Savoie, où elle est en usage. En cet endroit la vallée est large. Plusieurs maisons agréablement situées dans la petite plaine ou le long du torrent animent ce pays bien cultivé, fortifié de tous cotés par les montagnes, et sans issue apparente. À quelques pas de ce bourg assis à mi-côte, au midi, Genestas arrêta son cheval sous une avenue d’ormes, devant une troupe d’enfants, et leur demanda la maison de monsieur Benassis. Les enfants commencèrent par se regarder les uns les autres, et par examiner l’étranger de l’air dont ils observent tout ce qui s’offre pour la première fois à leurs yeux : autant de physionomies, autant de curiosités, autant de pensées différentes. Puis le plus effronté, le plus rieur de la bande, un petit gars aux yeux vifs, aux pieds nus et crottés lui répéta, selon la coutume des enfants : — La maison de monsieur Benassis, monsieur ? Et il ajouta : Je vais vous y mener. Il marcha devant le cheval autant pour conquérir une sorte d’importance en accompagnant un étranger, que par une enfantine obligeance, ou pour obéir à l’impérieux besoin de mouvement qui gouverne à cet âge l’esprit et le corps. L’officier suivit dans sa longueur la principale rue du bourg, rue caillouteuse, à sinuosités, bordée de maisons construites au gré des propriétaires. Là un four s’avance au milieu de la voie publique, ici un pignon s’y présente de profil et la barre en partie, puis un ruisseau venu de la montagne la traverse par ses rigoles. Genestas aperçut plusieurs couvertures en bardeau noir, plus encore en chaume, quelques-unes en tuiles, sept ou huit en ardoises, sans doute celles du curé, du juge de paix et des bourgeois du lieu. C’était toute la négligence d’un village au-delà duquel il n’y aurait plus eu de terre, qui semblait n’aboutir et ne tenir à rien ; ses habitants paraissaient former une même famille en dehors du mouvement social, et ne s’y rattacher que par le collecteur d’impôts ou par d’imperceptibles ramifica-