Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/434

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comme il a modéré par des lois inconnues les frottements dans le mécanisme de ses mondes. Le christianisme dit au pauvre de souffrir le riche, au riche de soulager les misères du pauvre ; pour moi, ce peu de mots est l’essence de toutes les lois divines et humaines.

— Moi, qui ne suis pas un homme d’État, dit le notaire, je vois dans un souverain le liquidateur d’une société qui doit demeurer en état constant de liquidation, il transmet à son successeur un actif égal à celui qu’il a reçu.

— Je ne suis pas un homme d’État, répliqua vivement Benassis en interrompant le notaire. Il ne faut que du bon sens pour améliorer le sort d’une Commune, d’un Canton ou d’un Arrondissement ; le talent est déjà nécessaire à celui qui gouverne un Département ; mais ces quatre sphères administratives offrent des horizons bornés que les vues ordinaires peuvent facilement embrasser ; leurs intérêts se rattachent au grand mouvement de l’État par des liens visibles. Dans la région supérieure tout s’agrandit, le regard de l’homme d’État doit dominer le point de vue où il est placé. Là, où pour produire beaucoup de bien dans un Département, dans un Arrondissement, dans un Canton ou dans une Commune, il n’était besoin que de prévoir un résultat à dix ans d’échéance, il faut, dès qu’il s’agit d’une nation, en pressentir les destinées, les mesurer au cours d’un siècle. Le génie des Colbert, des Sully n’est rien s’il ne s’appuie sur la volonté qui fait les Napoléon et les Cromwell. Un grand ministre, messieurs, est une grande pensée écrite sur toutes les années du siècle dont la splendeur et les prospérités ont été préparées par lui. La constance est la vertu qui lui est le plus nécessaire. Mais aussi, en toute chose humaine, la constance n’est-elle pas la plus haute expression de la force ? Nous voyons depuis quelque temps trop d’hommes n’avoir que des idées ministérielles au lieu d’avoir des idées nationales, pour ne pas admirer le véritable homme d’État comme celui qui nous offre la plus immense poésie humaine. Toujours voir au delà du moment et devancer la destinée, être au-dessus du pouvoir et n’y rester que par le sentiment de l’utilité dont on est sans s’abuser sur ses forces, dépouiller ses passions et même toute ambition vulgaire pour demeurer maître de ses facultés, pour prévoir, vouloir et agir sans cesse ; se faire juste et absolu, maintenir l’ordre en grand, imposer silence à son cœur et n’écouter que son intelligence ; n’être ni défiant, ni confiant, ni douteur ni crédule, ni reconnaissant ni ingrat, ni en ar-