Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/435

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rière avec un événement ni surpris par une pensée ; vivre enfin par le sentiment des masses, et toujours les dominer en étendant les ailes de son esprit, le volume de sa voix et la pénétration de son regard en voyant non pas les détails, mais les conséquences de toute chose n’est-ce pas être un peu plus qu’un homme ? Aussi les noms de ces grands et nobles pères des nations devraient-ils être à jamais populaires.

Il y eut un moment de silence, pendant lequel les convives s’entre-regardèrent.

— Messieurs, vous n’avez rien dit de l’armée, s’écrie Genestas. L’organisation militaire me paraît le vrai type de toute bonne société civile, l’épée est la tutrice d’un peuple.

— Capitaine, répondit en riant le juge de paix, un vieil avocat a dit que les empires commençaient par l’épée et finissaient par l’écritoire, nous en sommes à l’écritoire.

— Maintenant, messieurs, que nous avons réglé le sort du monde, parlons d’autre chose. Allons, capitaine, un verre de vin de l’Ermitage, s’écria le médecin en riant.

— Deux plutôt qu’un, dit Genestas en tendant son verre, et je veux les boire à votre santé comme à celle d’un homme qui fait honneur à l’espèce.

— Et que nous chérissons tous, dit le curé d’une voix pleine de douceur.

— Monsieur Janvier, voulez-vous donc me faire commettre quelque péché d’orgueil ?

— Monsieur le curé a dit bien bas ce que le Canton dit tout haut, répliqua Cambon.

— Messieurs, je vous propose de reconduire monsieur Janvier vers le presbytère, en nous promenant au clair de lune.

— Marchons, dirent les convives qui se mirent en devoir d’accompagner le curé.

— Allons à ma grange, dit le médecin en prenant Genestas par le bras après avoir dit adieu au curé et à ses hôtes. Là, capitaine Bluteau, vous entendrez parler de Napoléon. J’ai quelques compères qui doivent faire jaser Goguelat, notre piéton, sur ce dieu du peuple. Nicolle, mon valet d’écurie, nous a dressé une échelle pour monter par une lucarne en haut du foin, à une place d’où nous verrons toute la scène. Croyez-moi, venez, une veillée a son prix. Ce n’est pas la première fois que je me serai mis dans le foin pour