Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/613

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— L’argent ne vient donc pas de vous ? demanda vivement l’avocat.

— Pardonnez-moi, répondit-elle en regardant monsieur Bonnet pour savoir si Dieu ne s’offensait pas de ce mensonge.

Le curé tenait ses yeux baissés.

— Eh ! bien, dit l’avocat en gardant un billet de cinq cents francs et tendant l’autre au curé, je partage avec les pauvres. Maintenant, Denise, échangez ceci, qui certes est bien à moi, dit-il en lui présentant l’autre billet, contre votre cordon de velours et votre croix d’or. Je suspendrai la croix à ma cheminée en souvenir du plus pur et du meilleur cœur de jeune fille que j’observerai sans doute dans ma vie d’avocat.

— Je vous la donnerai sans vous la vendre, s’écria Denise en ôtant sa jeannette et la lui offrant.

— Eh ! bien, dit le curé, monsieur, j’accepte les cinq cents francs pour servir à l’exhumation et au transport de ce pauvre enfant dans le cimetière de Montégnac, Dieu sans doute lui a pardonné, Jean pourra se lever avec tout mon troupeau au grand jour où les justes et les repentis seront appelés à la droite du Père.

— D’accord, dit l’avocat. Il prit la main de Denise, et l’attira vers lui pour la baiser au front ; mais ce mouvement avait un autre but. — Mon enfant, lui dit-il, personne n’a de billets de cinq cents francs à Montégnac ; ils sont assez rares à Limoges où personne ne les reçoit sans escompte ; cet argent vous a donc été donné, vous ne me direz pas par qui, je ne vous le demande pas ; mais écoutez-moi : s’il vous reste quelque chose à faire dans cette ville relativement à votre pauvre frère, prenez garde ! monsieur Bonnet, vous et votre frère, vous serez surveillés par des espions. Votre famille est partie, on le sait. Quand on vous verra ici, vous serez entourés sans que vous puissiez vous en douter.

— Hélas ! dit-elle, je n’ai plus rien à faire ici.

— Elle est prudente, se dit l’avocat en la reconduisant. Elle est avertie, ainsi qu’elle s’en tire.

Dans les derniers jours du mois de septembre qui furent aussi chauds que des jours d’été, l’Évêque avait donné à dîner aux autorités de la ville. Parmi les invités se trouvaient le Procureur du roi et le premier Avocat-général. Quelques discussions animèrent la soirée et la prolongèrent jusqu’à une heure indue. On joua au whist et au trictrac, le jeu qu’affectionnent les évêques. Vers onze heures du soir, le Procureur du roi se trouvait sur les terrasses su-