Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/616

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beaucoup voir monsieur le curé Bonnet, afin d’avoir des renseignements sur la forêt et les terres que le duc de Navarreins voulait vendre, car le duc prévoyait la lutte horrible que le prince de Polignac préparait entre le libéralisme et la maison de Bourbon et il en augurait fort mal ; aussi était-il un des opposants les plus intrépides au coup d’État. Le duc avait envoyé son homme d’affaires à Limoges, en le chargeant de céder devant une forte somme en argent, car il se souvenait trop bien de la révolution de 1789, pour ne pas mettre à profit les leçons qu’elle avait données à toute l’aristocratie. Cet homme d’affaires se trouvait depuis un mois face à face avec Graslin, le plus fin matois du Limousin, le seul homme signalé par tous les praticiens comme capable d’acquérir et de payer immédiatement une terre considérable. Sur un mot que lui écrivit l’abbé Dutheil, monsieur Bonnet accourut à Limoges et vint à l’hôtel Graslin. Véronique voulut prier le curé de dîner avec elle ; mais le banquier ne permit à monsieur Bonnet de monter chez sa femme, qu’après l’avoir tenu dans son cabinet durant une heure, et avoir pris des renseignements qui le satisfirent si bien, qu’il conclut immédiatement l’achat de la forêt et des domaines de Montégnac pour cinq cent mille francs. Il acquiesça au désir de sa femme en stipulant que cette acquisition et toutes celles qui s’y rattacheraient étaient faites pour accomplir la clause de son contrat de mariage, relative à l’emploi de la dot. Graslin s’exécuta d’autant plus volontiers que cet acte de probité ne lui coûtait alors plus rien. Au moment où Graslin traitait, les domaines se composaient de la forêt de Montégnac qui contenait environ trente mille arpents inexploitables, des ruines du château, des jardins et d’environ cinq mille arpents dans la plaine inculte qui se trouve en avant de Montégnac. Graslin fit aussitôt plusieurs acquisitions pour se rendre maître du premier pic de la chaîne des monts Corréziens, où finit l’immense forêt dite de Montégnac. Depuis l’établissement des impôts, le duc de Navarreins ne touchait pas quinze mille francs par an de cette seigneurie, jadis une des plus riches mouvances du royaume, et dont les terres avaient échappé à la vente ordonnée par la Convention, autant par leur infertilité que par l’impossibilité reconnue de les exploiter.

Quand le curé vit la femme célèbre par sa piété, par son esprit et de laquelle il avait entendu parler, il ne put retenir un geste de surprise. Véronique était alors arrivée à la troisième phase de sa vie, à celle où elle devait grandir par l’exercice des plus