Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/712

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pays ne vit Denise et n’entendit parler d’elle. En reprenant le lit, madame Graslin ne le quitta plus ; elle alla chaque jour plus mal, et parut contrariée de ne pouvoir se lever, en essayant à plusieurs reprises, mais en vain, de se promener dans le parc. Cependant, quelques jours après cette scène, au commencement du mois de juin, elle fit dans la matinée un effort violent sur elle-même, se leva, voulut s’habiller et se parer comme pour un jour de fête ; elle pria Gérard de lui donner le bras, car ses amis venaient tous les jours savoir de ses nouvelles ; et quand Aline dit que sa maîtresse voulait se promener, tous accoururent au château. Madame Graslin, qui avait réuni toutes ses forces, les épuisa pour faire cette promenade. Elle accomplit son projet dans un paroxisme de volonté qui devait avoir une funeste réaction.

— Allons au chalet, et seuls, dit-elle à Gérard d’une voix douce et en le regardant avec une sorte de coquetterie. Voici ma dernière escapade, car j’ai rêvé cette nuit que les médecins arrivaient.

— Vous voulez voir vos bois ? dit Gérard.

— Pour la dernière fois, reprit-elle ; mais j’ai, lui dit-elle d’une voix insinuante, à vous y faire de singulières propositions.

Elle força Gérard à s’embarquer avec elle sur le second lac, où elle se rendit à pied. Quand l’ingénieur, surpris de lui voir faire un pareil trajet, fit mouvoir les rames, elle lui indiqua la Chartreuse comme but du voyage.

— Mon ami, lui dit-elle après une longue pause pendant laquelle elle avait contemplé le ciel, l’eau, les collines, les bords, j’ai la plus étrange demande à vous faire ; mais je vous crois homme à m’obéir.

— En tout, sûr que vous ne pouvez rien vouloir que de bien, s’écria-t-il.

— Je veux vous marier, répondit-elle, et vous accomplirez le vœu d’une mourante certaine de faire votre bonheur.

— Je suis trop laid, dit l’ingénieur.

— La personne est jolie, elle est jeune, elle veut vivre à Montégnac, et si vous l’épousez, vous contribuerez à me rendre doux mes derniers moments. Qu’il ne soit pas entre nous question de ses qualités, je vous la donne pour une créature d’élite ; et, comme en fait de grâces, de jeunesse, de beauté, la première vue suffit, nous l’allons voir à la Chartreuse. Au retour, vous me direz un non ou un oui sérieux.