été, l’enfant maudit contemplait la mer, alors couleur d’or sur la grève, noire à l’horizon, et coupée çà et là de ces lames d’argent qui annoncent une tempête. Gabrielle, se conformant à l’attitude de son ami, regardait ce spectacle et se taisait. Un seul regard, un de ceux par lequel les âmes s’appuient l’une sur l’autre, leur suffisait pour se communiquer leurs pensées. Le dernier abandon n’était pas pour Gabrielle un sacrifice, ni pour Etienne une exigence. Chacun d’eux aimait de cet amour si divinement semblable à lui-même dans tous les instants de son éternité, qu’il ignore le dévouement, qu’il ne craint ni les déceptions ni les retards. Seulement, Etienne et Gabrielle étaient dans une ignorance absolue des contentements dont le désir aiguillonnait leur âme. Quand les faibles teintes du crépuscule eurent fait un voile à la mer, que le silence ne fut plus interrompu que par la respiration du flux et du reflux dans la grève, Etienne se leva, Gabrielle imita ce mouvement par une crainte vague, car il avait quitté sa main. Etienne prit Gabrielle dans un de ses bras en la serrant contre lui par un mouvement de tendre cohésion ; aussi, comprenant son désir, lui fit-elle sentir le poids de son corps assez pour lui donner la certitude qu’elle était à lui, pas assez pour le fatiguer. L’amant posa sa tête trop lourde sur l’épaule de son amie, sa bouche s’appuya sur le sein tumultueux, ses cheveux abondèrent sur le dos blanc et caressèrent le cou de Gabrielle. La jeune fille ingénument amoureuse pencha la tête afin de donner plus de place à Etienne en passant son bras autour de son cou pour se faire un point d’appui. Ils demeurèrent ainsi, sans se dire une parole, jusqu’à ce que la nuit fut venue. Les grillons chantèrent alors dans leurs trous, et les deux amants écoutèrent cette musique comme pour occuper tous leurs sens dans un seul. Certes ils ne pouvaient alors être comparés qu’à un ange qui, les pieds posés sur le monde, attend l’heure de revoler vers le ciel. Ils avaient accompli ce beau rêve du génie mystique de Platon et de tous ceux qui cherchent un sens à l’humanité : ils ne faisaient qu’une seule âme, ils étaient bien cette perle mystérieuse destinée à orner le front de quelque astre inconnu, notre espoir à tous !
— Tu me reconduiras, dit Gabrielle en sortant la première de ce calme délicieux.
— Pourquoi nous quitter ? répondit Etienne.
— Nous devrions être toujours ensemble, dit-elle.