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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/99

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de ma femme, et l’espoir d’avoir la main de Marianna, qui me souriait souvent de sa fenêtre, avait beaucoup contribué à mes efforts. Je tombai dans une noire mélancolie en mesurant la profondeur de l’abîme où j’étais tombé, car j’entrevoyais clairement une vie de misère, une lutte constante où devait périr l’amour. Marianna fit comme le génie : elle sauta pieds joints par-dessus toutes les difficultés. Je ne vous dirai pas le peu de bonheur qui dora le commencement de mes infortunes. Epouvanté de ma chute, je jugeai que l’Italie, peu compréhensive et endormie dans les flonflons de la routine, n’était point disposée à recevoir les innovations que je méditais ; je songeai donc à l’Allemagne. En voyageant dans ce pays, où j’allai par la Hongrie, j’écoutais les mille voix de la nature, et je m’efforçais de reproduire ces sublimes harmonies à l’aide d’instruments que je composais ou modifiais dans ce but. Ces essais comportaient des frais énormes qui eurent bientôt absorbé notre épargne. Ce fut cependant notre plus beau temps : je fus apprécié en Allemagne. Je ne connais rien de plus grand dans ma vie que cette époque. Je ne saurais rien comparer aux sensations tumultueuses qui m’assaillaient près de Marianna, dont la beauté revêtit alors un éclat et une puissance célestes. Faut-il le dire ? je fus heureux. Pendant ces heures de faiblesse, plus d’une fois je fis parler à ma passion le langage des harmonies terrestres. Il m’arriva de composer quelques-unes de ces mélodies qui ressemblent à des figures géométriques, et que l’on prise beaucoup dans le monde où vous vivez. Aussitôt que j’eus du succès, je rencontrai d’invincibles obstacles multipliés par mes confrères, tous pleins de mauvaise foi ou d’ineptie. J’avais entendu parler de la France comme d’un pays où les innovations étaient favorablement accueillies, je voulus y aller ; ma femme trouva quelques ressources, et nous arrivâmes à Paris. Jusqu’alors on ne m’avait point ri au nez ; mais dans cette affreuse ville, il me fallut supporter ce nouveau genre de supplice, auquel la misère vint bientôt ajouter ses poignantes angoisses. Réduits à nous loger dans ce quartier infect, nous vivons depuis plusieurs mois du seul travail de Marianna, qui a mis son aiguille au service des malheureuses prostituées qui font de cette rue leur galerie. Marianna assure qu’elle a rencontré chez ces pauvres femmes des égards et de la générosité, ce que j’attribue à l’ascendant d’une vertu si pure, que le vice lui-même est contraint de la respecter.