Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/284

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changes mais elle était fatiguée, le Désir lui avait brisé les nerfs, elle ne pouvait que crier : — « Ô mon Dieu ! » Combien d’Esprits Angéliques, en gravissant la montagne, et près d’atteindre au sommet, ont rencontré sous leurs pieds un gravier qui les a fait rouler et les a replongés dans l’abîme ! Tous ces Esprits déchus admiraient sa constance ; ils étaient là formant un Chœur immobile, et tous lui disaient en pleurant : — « Courage ! » Enfin elle a vaincu le Désir déchaîné sur elle sous toutes les Formes et dans toutes les Espèces. Elle est restée en prières, et quand elle a levé les yeux, elle a vu le pied des Anges revolant aux cieux.

— Elle a vu le pied des Anges ? répéta Wilfrid.

— Oui, dit le vieillard.

— C’était un rêve qu’elle vous a raconté ? demanda Wilfrid.

— Un rêve aussi sérieux que celui de votre vie, répondit David, j’y étais.

Le calme du vieux serviteur frappa Wilfrid, qui s’en alla se demandant si ces visions étaient moins extraordinaires que celles dont les relations se trouvent dans Swedenborg, et qu’il avait lues la veille.

— Si les Esprits existent, ils doivent agir, se disait-il en entrant au presbytère où il trouva monsieur Becker seul.

— Cher pasteur, dit Wilfrid, Séraphîta ne tient à nous que par la forme, et sa forme est impénétrable. Ne me traitez ni de fou, ni d’amoureux : une conviction ne se discute point. Convertissez ma croyance en suppositions scientifiques, et cherchons à nous éclairer. Demain nous irons tous deux chez elle.

— Eh ! bien ? dit monsieur Becker.

— Si son œil ignore l’espace, reprit Wilfrid, si sa pensée est une vue intelligente qui lui permet d’embrasser les choses dans leur essence, et de les relier à l’évolution générale des mondes ; si, en un mot, elle sait et voit tout, asseyons la pythonisse sur son trépied, forçons cet aigle implacable à déployer ses ailes en le menaçant ! Aidez-moi ? je respire un feu qui me dévore, je veux l’éteindre ou me laisser consumer. Enfin j’ai découvert une proie, je la veux.

— Ce serait, dit le ministre, une conquête assez difficile à faire, car cette pauvre fille est…

— Est ?… reprit Wilfrid.

— Folle, dit le ministre.