Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/378

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nt l’amour ;

Qu’ils n’ont pas tous passé par le collége, et qu’il y a bien des artisans, bien des laquais (le duc de Gèvres, très-laid et petit, en se promenant dans le parc de Versailles, aperçut des valets de riche taille, et dit à ses amis : — Regardez comme nous faisons ces drôles-là, et comme ils nous font !…), bien des entrepreneurs en bâtiment, bien des industriels qui ne pensent qu’à l’argent ; bien des courtauds de boutique ;

Qu’il y a des hommes plus bêtes et véritablement plus laids que Dieu ne les aurait faits ;

Qu’il y en a dont le caractère est comme une châtaigne sans pulpe ;

Que le clergé est généralement chaste ;

Qu’il y a des hommes placés de manière à ne pouvoir jamais entrer dans la sphère brillante où se meuvent les femmes honnêtes, soit faute d’un habit, soit timidité, soit manque d’un cornac qui les y introduise.

Mais laissons à chacun le soin d’augmenter le nombre des exceptions suivant sa propre expérience (car, avant tout, le but d’un livre est de faire penser) ; et supprimons tout d’un coup une moitié de la masse totale, n’admettons qu’un million de cœurs dignes d’offrir leurs hommages aux femmes honnêtes : c’est, à peu de chose près, le nombre de nos supériorités en tout genre. Les femmes n’aiment pas que les gens d’esprit ! mais, encore une fois, donnons beau jeu à la vertu.

Maintenant, à entendre nos aimables célibataires, chacun d’eux raconte une multitude d’aventures qui, toutes, compromettent gravement les femmes honnêtes. Il y a beaucoup de modestie et de retenue à ne distribuer que trois aventures par célibataire ; mais si quelques-uns comptent par dizaine, il en est tant qui s’en sont tenus à deux ou trois passions, et même à une seule dans leur vie, que nous avons, comme en statistique, pris le mode d’une répartition par tête. Or, si l’on multiplie le nombre des célibataires par le nombre des bonnes fortunes, on obtiendra trois millions d’aventures ; et, pour y faire face, nous n’avons que quatre cent mille femmes honnêtes ?…

Si le Dieu de bonté et d’indulgence qui plane sur les mondes ne fait pas une seconde lessive du genre humain, c’est sans doute à cause du peu de succès de la première…

Voilà donc ce que c’est qu’un peuple ! voilà une société tamisée, et voilà ce qu’elle offre en résultat !