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LES CONTES DRÔLATIQUES.

Alors elle feit la chatte, et se roula si bien près de luy, le chatouilla si gentement, l’apprivoisa si doulcement, le patepelua si mignottement, que, ung soir où elle estoyt tombée en de noires humeurs, quoique bien gaye au fund de l’ame, elle se feit demander par son frère guardien :

— Qu’avez-vous doncques ?

A quoy, songeuse, elle luy respondit, en estant escoutée par luy comme la meilleure des musicques :

Qu’elle avoyt espousé Maillé à l’encontre de son cueur, et qu’elle en estoyt bien malheureuse ; qu’elle ignoroyt les doulceurs d’amour ; que son mary ne s’y entendoyt nullement, et que sa vie seroyt pleine de larmes. Brief, elle se feit pucelle de cueur, et de tout, veu qu’elle advoua n’avoir encore perceu de la chouse que des desplaizirs. Puis dit encores que, pour le seur, ce manège debvoyt estre fertile en sucreries, friandises de toutes sortes, pour ce que toutes les dames y couroyent, en vouloyent, estoyent ialouses de ceulx qui leur en vendoyent, car, à aulcunes, cela coustoyt chier ; que elle en estoyt si curieuse, que, pour ung seul bon iour ou une nuictée d’amour, elle bailleroyt sa vie et seroyt tousiours subiecte de son amy, sans aulcun murmure ; mais que celluy avecques qui la chouse lui seroyt plus plaisante à faire ne vouloyt pas l’entendre ; et que, cependant, le secret pouvoyt estre éternellement guardé sur leurs coucheries, veu la fiance de son mary en luy ; finablement, que, s’il la refusoyt encores, elle en mourroyt.

Et toutes ces paraphrases du petit canticque, que sçavent toutes les dames en venant au monde, feurent desbagoulées entre mille silences entrecoupez de sospirs arrachiés du cueur, aornés de force tortillemens, appels au ciel, yeulx en l’aër, petites rougeurs subites, cheveulx graphinés… Enfin, toutes les herbes de la Sainct-Jean feurent mises dans le ragoust. Et, comme au fond de ces paroles il y avoyt ung pinçant dezir qui embellit mesmes les laiderons, le bon chevalier tomba aux pieds de la dame, les luy print, les luy baisa, tout plourant. Faictes estat que la bonne femme feut bien heureuse de les luy laisser à baiser ; et mesmes, sans trop resguarder à ce qu’il vouloyt en faire, elle luy abandonna sa robbe, saichant bien que besoing estoyt de la prendre par en bas pour la lever ; mais il estoyt escript que ce soir elle seroyt saige, car le beau Lavallière luy dit avecques désespoir :