Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fou. Mon intention est de me jeter aux pieds de mon fils ; les sentiments vrais se font comprendre ; il verra ce qu’il y a pour lui dans mon cœur et ne me repoussera pas.

— Il ne vous repoussera pas, en effet, car il vient de partir.

— Pour Paris ?

— Non ; pour beaucoup plus loin, pour le Paraguay, où il va rejoindre sa mère.

— Mais c’est impossible, s’écria Vautrin, il n’a pu vouloir me priver de la consolation de le voir au moins une fois.

— Ce voyage était indispensable ; son esprit troublé accueillant les plus funestes résolutions : sans cette puissante diversion, que j’ai beaucoup encouragée, je ne répondais pas de sa vie.

— Il a donc pour moi bien de la haine ?

— Ce n’est pas contre vous en particulier qu’est dirigé son terrible souci ; mais mettez-vous à sa place, et vous comprendrez que, sous la terrible avalanche des révélations qui sont venues l’accabler, il soit resté un moment étonné. L’avenir de l’affaire engagée reste d’ailleurs fort douteux, et, si le scandale doit éclater, il n’a pas voulu en être témoin.

— Il n’éclatera pas, dit Vautrin avec autorité, tenez-le pour certain. Rastignac sait quel homme je suis, et jamais il ne poussera les choses avec moi à de certaines extrémités. Mais mon fils, monsieur, en partant, ne vous a chargé de rien pour moi ?

— Il m’a dit qu’à son retour, il vous verrait ; que vous seriez, l’un et l’autre, mieux préparés à cette entrevue.

— Et son retour, il en a fixé l’époque ?

— Permettez-lui d’abord d’être parti.

— Si je savais la route qu’il a prise, avec les moyens dont je dispose, je me fais fort de le rejoindre.

— Il va, m’a-t-il dit, s’embarquer au Havre, mais je ne sais, monsieur, si en pensant à faire la folie de le suivre, vous vous rendez bien compte des devoirs qui pèsent sur vous. Nous avons affaire à des ennemis qui sont sur place, qui ne s’endorment pas, et un seul jour de perdu peut beaucoup empirer la situation. Nous nous