Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

» Du côté de l’ouest, c’est-à-dire dans la partie du pays baignée par le Rio-Paraguay, en côtoyant pendant près de cent lieues, à travers d’effrayantes solitudes, la rive droite de cette rivière, qu’on irait prendre au-dessus de Corrientes, à son confluent avec le Parana, on aurait une chance d’arriver jusqu’à la hauteur de Tevego, et, par cette voie, quelques rares tentatives d’évasion ont été couronnées de succès.

» Quand j’aurai acquis la certitude de la déportation de ma mère dans le Nord, malgré les énormes difficultés de l’entreprise, je n’hésiterai pas à essayer sa délivrance, et remarquez, cher ami, une nouvelle fantaisie de ma destinée ! Vous vous rappelez que lord Lewin, pour décider Marie-Gaston à le suivre en Angleterre, lui offrit une prétendue partie de suicide qu’ils devaient aller exécuter dans l’Amérique du Sud, au Saut-de-Guayra, immense cataracte qui coupe le cours du Parana. Eh bien ! c’est précisément dans ces parages que je suis maintenant appelé à aller, sérieusement, jouer ma vie contre les hasards d’une entreprise désespérée pour laquelle, même à prix d’or, je ne suis pas assuré de trouver des compagnons.

» Il ne faut pas se le dissimuler en effet, si je parviens à traverser ce désert coupé par d’impénétrables forêts, par les inondations du fleuve et d’une foule de cours d’eau ; par les immenses incendies que souvent la foudre ou les sauvages allument dans les hautes graminées des prairies ; si j’échappe aux féroces Indiens Moyabas qui infestent ces plaines sans fin ; aux jaguars, aux serpents qui s’en partagent avec eux la possession, il me faudra encore passer à travers les postes militaires échelonnés sur la frontière ; pénétrer jusqu’à Tevego ; en enlever la précieuse proie que je serai allé chercher, et par le même chemin, la ramener jusqu’au point où commencent les lieux habités. L’imagination ne reste-t-elle pas épouvantée à l’idée d’une telle accumulation d’impossibilités ?

» Vous ne vous étonnerez donc pas, cher ami, si, avant d’aborder cette terrible épreuve, je veux d’abord m’assurer qu’elle est décidément nécessaire, et si, par la longueur et la prudence de mes préparatifs, je tâche à lui ménager quelque apparence lointaine de succès.

» Demandez, je vous en supplie, à la mère Marie-des-