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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/21

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demanda Sallenauve, qui ne l’appelait pas Armand tout court, une sorte de répulsion instinctive n’ayant jamais cessé d’exister entre eux depuis ce dîner où le jeune collégien avait voulu se poser en homme d’État consommé.

— Mais, très bien ! répondit Armand, je ne sais pourquoi ma mère prend plaisir à s’inquiéter.

Au collège, un homme de quinze ans qui dirait maman, se couvrirait d’un immense ridicule.

— Je sais ce que c’est, dit tout bas Sallenauve à madame de l’Estorade ; il aura voulu fumer dans une pipe. Cela rend horriblement malades les gens qui n’en ont pas l’habitude.

— Si ce n’était que ça ! répondit madame de l’Estorade.

— Laissez-moi seul un instant avec lui, je me charge de le lui faire avouer.

Madame de l’Estorade s’étant absentée sous un prétexte spécieux :

— Monsieur Armand, dit Sallenauve au malade, il est bien d’être brave, mais il faut savoir avec qui on se commet. L’homme contre lequel vous vouliez vous battre est un repris de justice qui, dans ce moment, doit être aux mains de la police. Ceci, sans doute, vous servira de leçon ; il est des lieux où un homme bien élevé ne doit jamais mettre le pied.

— Ainsi, dit Armand, dont le visage s’était épanoui malgré la sévérité de la remontrance, Naïs vous avait tout dit ?

— Ai-je eu tort ? répondit Naïs. Toi aussi tu pourras dire maintenant : C’est le monsieur qui m’a sauvé !!!


II

LES MORALISTES


Débarrassé du souci qui, malgré sa bravoure, l’avait si profondément remué, Armand, quelques heures plus tard, se trouva assez bien remis pour venir à table prendre