Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/23

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et des députés, pour éviter au moutard la leçon duquel il avait si bien méritée. Il est encore bon là ton Sallenauve, qui vient soi-disant se mettre à la place du petit, et qui, après avoir voulu étrangler Bélisaire, va le dénoncer à la rousse (la police) ! Toujours que ça ne se passera pas comme ça, si tu crois ! On a su ton adresse par la carte de l’enfant, et on vous ressoignera la mère, le père, l’ami et toute la sequelle ; ce que nous faisons l’honneur de t’avertir et tremblez tous !!!

» LES GRANDS FANANDELS. »

Sallenauve prit à part M. de l’Estorade et lui donna l’explication qu’il demandait. Mais pendant ce temps, Armand et Naïs avaient échangé des signes qui n’avaient pas échappé à la comtesse ; de plus en plus intriguée, elle alla à son mari et lui demanda quel grand secret contenait cette lettre. Comme il se défendait de le lui conter, disant que ce qu’elle voulait savoir n’était d’aucun intérêt :

— Mon Dieu, lui dit madame de l’Estorade, rappelez-vous toutes les tribulations qu’une cachotterie du même genre a amenées entre nous.

Mis hors de lui par le méchant souvenir qu’on ne lui rappelait jamais impunément :

— Eh bien ! dit brusquement M. de l’Estorade, puisqu’il faut tout vous dire, M. Armand s’était imaginé d’avoir un duel.

À cette effrayante révélation, madame de l’Estorade se trouva aussi saisie que si le péril ne fût pas passé, et, peu après, elle fût prise d’une violente attaque de nerfs dont on eut grand’peine à la faire revenir. Quand elle fut remise et qu’elle put se faire conter tout le détail, quoique Sallenauve eût eu soin de dissimuler une partie de son dévoûment :

— Voilà déjà deux de mes enfants que je vous dois, lui dit-elle ; il n’y a plus que René auquel vous n’ayez pas sauvé la vie.

— Oh ! mais je l’aime autant ! dit René, et il sauta au cou de Sallenauve.

— Le fait est, dit M. de l’Estorade en lui serrant la main, qu’on le croirait destiné à être la Providence de la famille !