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Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/24

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Honteux sans doute de sa ridicule campagne, Armand, qui aurait dû être le plus ardent et le plus empressé, se montra le plus réservé dans l’expression de sa reconnaissance ; il n’avait pas de goût pour Sallenauve, et était fâché de lui avoir une si grande obligation.

Quand il fut question que le sauveur se retirât :

— Monsieur, lui dit madame de l’Estorade avec l’accent de la sollicitude la plus vraie, prenez bien garde, je vous en supplie, que ces méchantes gens ne vous fassent quelque mauvais parti.

— Leur lettre est une pure fanfaronnade, répondit Sallenauve. Je vais seulement la prendre et la faire passer à M. de Saint-Estève, qui saura bien mettre ordre à toutes ces menaces.

— Au moins, dit la comtesse en lui tendant la main, on vous verra demain ; que l’on sache bien qu’il ne vous est rien arrivé en retournant dans vos vilains bois de Ville-d’Avray.

Quand Sallenauve fut parti, madame de l’Estorade querella Armand de sa tiédeur de reconnaissance : « Quand on fait des sottises, lui dit-elle avec moins de douceur qu’elle n’avait accoutumé d’en mettre dans ses remontrances, on ne les répare pas avec de l’ingratitude. » Le lendemain, elle n’eut pas de repos, qu’elle n’eût reçu un billet de Sallenauve, lui annonçant qu’il n’avait fait aucune mauvaise rencontre.

— Mais les grands Fanandels, qui nous menacent nous et M. de Sallenauve, quels peuvent être ces gens ? demandait-elle sans cesse ; le mot seul fait peur, les grands Fanandels ! Et elle persécuta son mari pour qu’il passât chez le chef de la police de sûreté, et lui fît, pour son propre compte, des recommandations.

À son retour, M. de l’Estorade put expliquer à la comtesse que les grands Fanandels étaient une association de malfaiteurs qui autrefois avait beaucoup préoccupé la police. Mais celle-ci en avait eu raison. La bande est d’autant mieux dissoute, ajouta le pair de France, que je soupçonne fort le chef actuel de la police de sûreté, qui est un ancien forçat, d’avoir été pour quelque chose dans cette organisation de voleurs enrégimentés. Il dit que sous son administration rien de pareil ne se refera jamais, et