Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/254

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À ce moment Philippe parut à la porte et fit signe à Bricheteau que l’homme en question était de retour.

L’organiste sortit, et un moment après il introduisait Vautrin, vêtu d’une blouse blanchâtre qui, en effet, le déguisait assez imparfaitement.

Cet homme, d’une trempe énergique jusqu’à la férocité, était devenu tremblant comme un enfant, à l’idée de comparaître devant le Dieu, son fils. Bricheteau fut obligé de l’aider à s’asseoir sur un siège placé auprès de la porte, car, dès qu’il avait aperçu Sallenauve, il était devenu effrayant de pâleur et ses jambes flageolaient sous lui. De la place où il s’était affaissé il se laissa couler sur ses genoux, et les mains tendues vers son idole :

— Monsieur, s’écria-t-il d’une voix entrecoupée de sanglots, je viens vous demander pardon d’être votre père !

Il était impossible de ne pas se sentir ému par ce spectacle. Sallenauve courut au-devant de cet homme, qui parvenait en quelque sorte à se relever par la grandeur de son abaissement, et après l’avoir forcé à quitter son humiliante posture, afin d’éviter toute explication sur le passé, se hâtant d’aborder sa grave préoccupation du moment :

— Avez-vous vu M. de Trailles ? demanda-t-il, ainsi que vous en aviez manifesté l’intention au colonel Franchessini ?

— Oui, certes, je l’ai vu, répondit Vautrin ; et après ce que je lui ai fait comprendre, sa main, je vous le garantis, ne sera pas sûre quand il vous aura au bout de son pistolet.

— Monsieur, s’écria Sallenauve, vous voulez donc me perdre d’honneur ? Je suis le provocateur ; c’est moi qui, à tout prix, ai voulu avoir une rencontre avec lui !

— Vous, le provocateur, quand depuis six années il n’a pas cessé d’être votre mauvais génie ! Vous avez fait ce que vous deviez faire, et moi je fais ce que je devais.

— Mais non, reprit vivement Sallenauve, j’ai invoqué le jugement de Dieu, et à aucun titre vous n’avez le droit d’intervenir pour faire mettre en suspicion la sincérité de l’arrêt qui sera rendu.

— Dieu, répondit Vautrin, permet parfois le triomphe du méchant, et je ne vous laisserai pas à la merci de