Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/255

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ce brave qui s’est rendu expert dans l’art de tuer les hommes, afin de mettre la mort entre lui et leur mépris.

— J’ai calculé tout cela, reprit Sallenauve ; ce duel, néanmoins, je l’ai voulu parce qu’il m’était nécessaire, et maintenant vous allez le rendre impossible ; jamais je ne me battrai contre un homme que vos menaces auront démoralisé.

— Je n’ai fait, répondit Vautrin, qu’égaliser les chances.

— Vous vous trompez, dit Sallenauve ; ce que vous avez pu donner à entrevoir à M. de Trailles, ce n’est pas un adversaire venant prendre ma place si je succombais ; il refuserait, et il en aurait le droit, de se mesurer avec vous. Un crime, voilà le sens de votre menace. La noble vengeance que vous me promettez là !

— Un homme peut toujours, dit Vautrin, forcer un adversaire à se battre, à moins que cet adversaire ne soit le dernier des lâches. Ce ne sera peut-être pas un duel avec toutes vos formalités voulues ; mais si ce Maxime de Trailles a le malheur que la victoire lui reste, tout en lui laissant défendre sa vie, je sens que je le tuerai ; je le lui ai dit, et il y pensera.

— Alors, dit Sallenauve, ma rencontre avec lui n’aura pas lieu ; j’irai s’il le faut, jusqu’à lui faire des excuses ! ce sera une autre obligation que je vous aurai.

— Je vous promettrais d’être résigné et calme, répondit Vautrin, que ma parole, voyez-vous, ne serait pas tenue. Un homme qui aurait tué mon fils, ajouta-t-il en s’animant par degrés, oh ! j’aurais sa vie ou il aurait la mienne, dussé-je voir l’enfer ouvert à mes côtés !

— Mais vous aimez donc mieux me voir flétri, déshonoré ?

— Je ne veux pas que M. de Trailles tue mon fils ; est-ce que c’est pour cela que je l’ai mis au monde ? s’écria Vautrin avec une exaltation toujours croissante ? il le sait bien, allez, le misérable, il le sait bien, que malheur lui en arriverait !

En présence de cette déraison d’amour paternel, Sallenauve eut un moment de découragement, il fit à Bricheteau un geste désespéré ayant l’air de lui dire : « Voyez donc si vous ne trouvez pas quelque moyen de vous mettre en travers de cette frénésie ! »