Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/55

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temps pour que le malade soit en mesure de vous recevoir sans inconvénient.

Cet avis était trop sage pour ne pas être suivi, et Sallenauve dut se résigner à ne rien savoir avant le terme fixé par la prudence de la Faculté.

Mais, dès le lendemain, la situation d’esprit inquiète et agitée que ne pouvait manquer de lui créer cette attente, la solitude où il était réduit, le voisinage continuel de Bricheteau, qu’il lui était défendu de voir et d’interroger, quand il le savait prêt à lui faire de si graves révélations, avaient rendu au député le séjour de sa maison insupportable ; et, pour user le temps, aussi bien que pour trouver dans le changement de lieu une diversion, il résolut d’aller donner un coup d’œil à sa terre d’Arcis ; ce qui lui serait en même temps une occasion de se rapprocher de ses commettants.

Mettant aussitôt son idée à exécution, il partit pour la Champagne, et fit le voyage avec la rapidité qu’il avait mise à revenir de Provence.

Les gens d’Arcis, fiers d’être représentés par un homme qui, dès ses débuts à la Chambre, avait su conquérir une position éminente, le reçurent avec de grandes démonstrations d’enthousiasme. Une sérénade lui fut donnée dès le soir même de son arrivée. Le surlendemain, dans un banquet aussitôt organisé, il eut l’occasion d’expliquer sa conduite parlementaire, et, tout en se félicitant publiquement d’avoir résisté aux instances qui lui avaient été faites pour qu’il s’affiliât à la coalition, et en désapprouvant cette manifestation comme faute de tactique, il n’hésita pas à l’approuver au moins dans son but, qui était de rendre au gouvernement constitutionnel sa franchise et sa vérité. Recueilli par les feuilles de la localité, et bientôt reproduit dans tous les journaux de Paris, ce discours, dans le calme plat créé par le silence de la tribune, fut un véritable événement et vint accroître encore l’irritation et le mauvais vouloir que nourrissaient contre l’orateur le ministère tout entier et le comte de Rastignac en particulier.

Inutile de dire que le député ne manqua pas d’aller à la maison des dames Ursulines rendre ses devoirs à la mère Marie-des-Anges, sa mère électorale, comme il l’appelait ;