Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/62

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Le mot du sénateur fut trouvé assez plaisant et assez civilisé, et de là on passa à parler du ménage de Rastignac, qui, depuis le départ de la Luigia, était loin au contraire d’avoir recouvré sa sérénité.

Le ministre, après le départ de la cantatrice, avait eu honte de paraître revenir à sa femme, en suite de son délaissement, et il lui avait peut-être témoigné plus de froideur qu’au temps même où il était coupable d’une tentative quotidienne d’infidélité. Il avait même été question d’une parure qu’il aurait envoyée à une danseuse de l’Opéra, laquelle se serait montrée beaucoup moins cruelle que la Luigia. De son côté, la comtesse Augusta, en présence du procédé de son mari, avait conçu une vive irritation. Le colonel Franchessini, s’étant trouvé dès le principe le confident de ses déplaisirs, paraissait assez bien exploiter sa position de consolateur, et, d’un jour à l’autre, on s’attendait à apprendre quelque vengeance éclatante de la petite comtesse. Elle ne savait pas, la pauvrette, quel homme dangereux c’était que Franchessini ; et peut-être elle se trouverait bien étonnée et bien aux regrets de s’être si fort vengée, quand elle serait revenue d’étudier l’isolement que lui donnaient dans le moment les deux désespoirs de son amour et de son amour-propre également blessés.

Une autre médisance qui vint ensuite sur le tapis, fut la nouvelle du dérangement de Beauvisage. Par le luxe de bon goût qu’avant de partir, Maxime avait installé à l’hôtel Beauséant, les Beauvisage étaient arrivés à prendre une certaine position dans le monde parisien, et leurs faits et gestes ne semblaient plus indignes d’occuper, au moins pour un moment, l’attention d’un salon aussi élégant que celui de madame d’Espard.

— Oui, se prit à dire M. de Ronquerolles, pas plus tard que tantôt, au bois de Boulogne, dans une des allées les plus mélancoliques, j’ai aperçu le galant bonnetier donnant le bras à une demoiselle Antonia Chocardelle, à laquelle s’est un instant amusé Maxime, et pour laquelle il avait fait le miracle de mettre dehors quelques billets de mille francs. Le couple était suivi d’un petit coupé de bonne apparence qui n’était point à la livrée que se sont donnée les Beauvisage ; par conséquent, il appartenait à