Aller au contenu

Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais ces Magdeleines ne manquèrent, à jour fixe, d’apporter leur cotisation annuelle pour aider à préparer l’avenir de l’enfant de leur adoption, et Bricheteau, les réunissant gravement en cour des comptes, leur présentait, à chaque réunion, le tableau des dépenses de l’année précédente. Cela se continua jusqu’à ce qu’un événement, que vous devez entrevoir, vînt largement suppléer à cette subvention.

— Ma mère se révéla ? demanda Sallenauve.

— Oui, monsieur, un jour Bricheteau reçut une lettre datée de l’Assomption, capitale du Paraguay. C’était le commencement de cette correspondance où j’ai puisé tous les renseignements que je vous communique ici. Votre mère racontait qu’après avoir longtemps voyagé avec Duvignon, elle en avait été abandonnée dans l’Amérique du Sud et qu’arrivée au Paraguay, elle était devenue la favorite du célèbre docteur Francia qui régnait despotiquement sur ce pays. En foi de cette fortune, elle envoyait une somme importante à Bricheteau, l’engageant à en user pour lui-même, et à vous en faire profiter, monsieur, si, comme elle l’espérait, vous étiez encore de ce monde.

— Mais cette reconnaissance du marquis de Sallenauve ?

— Ah ! voici comment elle s’explique. Aussitôt que votre mère vous sut vivant et un homme distingué, une étrange visée lui passa dans l’esprit, et elle a écrit à ce sujet des volumes. Le docteur Francia a aujourd’hui quatre-vingt-trois ans ; sa fin ne saurait donc se faire beaucoup attendre. Souverain absolu du Paraguay, où il porte le titre de dictateur, qu’il a préféré à celui de roi, il disposera après lui du pouvoir comme il en a disposé pendant sa vie. Votre mère s’est imaginé que si vous parveniez à donner à votre nom un grand retentissement politique, elle pourrait décider ce vieillard, sur lequel elle paraît avoir, en effet, un grand empire, à vous désigner pour son successeur. Ainsi, vous le voyez, monsieur, il ne s’agit de rien moins, pour vous, que d’un trône dans la pensée maternelle.

— Étrange folie, répondit Sallenauve, mais qui a son excuse.