peintre. Elle était toute grâce, toute beauté ; jolie comme un printemps, pure, blanche, toutes les richesses féminines et une belle ame !
— Oh, Dieu ! s’écria-t-il, je n’oserai jamais lui dire !…
— Un secret, reprit-elle. Oh ! je veux le savoir.
Le Poussin resta rêveur.
— Parle donc !…
— Gillette ! pauvre cœur aimé !
— Oh ! tu veux quelque chose de moi !…
— Oui.
— Si tu désires encore que je me mette devant toi pour être dessinée, reprit-elle d’un petit air boudeur, je n’y consentirai plus jamais… Cela est mal.
— Aimerais-tu me voir copier une autre femme ?…
— Peut-être… dit-elle, si elle était bien laide…
— Eh bien, reprit le Poussin d’un ton sérieux, si pour ma gloire à venir, si pour me faire un grand peintre, il fallait aller poser chez un autre…
— Tu veux m’éprouver… dit-elle. — Tu sais bien, que je n’irais pas !
Le Poussin pencha sa tête sur sa poitrine comme un homme qui succombe à une joie ou à une douleur trop forte pour son ame.
— Écoute, dit-elle en tirant Poussin par la manche de son pourpoint usé, je t’ai dit, Nick, que je donnerais ma vie pour toi ; mais je ne t’ai jamais promis de renoncer à mon amour, à toi…
— Y renoncer !… s’écria le Poussin attendri.
— Si je me montrais ainsi à un autre qu’à toi, tu ne m’aimerais plus… et moi-même, je me trouverais indigne de toi !… Quand j’obéis à tes caprices, il n’y a rien que de naturel, et j’en suis heureuse et fière. Mais pour un autre !… fi… donc…
— Pardonne, ma Gillette, dit le peintre en se jetant à ses genoux. J’aime mieux être aimé que glorieux !… Tu es plus belle que la fortune et les honneurs. Va, jette mes pinceaux, brûle ces esquisses. Je me suis trompé… ma vocation c’est de t’aimer. Je ne suis pas peintre, je suis amoureux !… Périsse l’art et tous ses secrets !…
Elle l’admirait, heureuse, charmée !… Elle régnait ! Elle sentait instinctivement les arts ruinés pour elle, jetés à ses pieds comme un grain d’encens.
— Ce n’était pourtant qu’un vieillard !… reprit Poussin. Il ne verra pas la femme en toi, il verra la beauté : tu es parfaite…
— Il faut bien aimer !… s’écria-t-elle prête à sacrifier ses scrupules d’amour pour récompenser son amant de tous les sacrifices qu’il lui faisait. — Mais non, reprit-elle, ce serait me perdre. — Ah ! me perdre pour toi !… Oui, mais tu m’oublieras… Non, c’est une mauvaise pensée !…
— Je l’ai eue et je t’aime ! dit-il avec une sorte de contrition ; mais je suis donc un infâme !…
— Consultons le père Hardouin… dit-elle.
— Oh, non ! que ce soit un secret entre nous deux !…
— Eh bien, j’irai… mais ne sois pas là, dit-elle… Reste à la porte, armé de ta dague ; si je crie, entre et tue le peintre…
Ne voyant plus que l’art, le Poussin pressa Gillette dans ses bras ! Fils d’un gentilhomme, d’un soldat, il y avait une épée parmi ses pinceaux.
— Il ne m’aime plus !… pensa Gillette quand elle se trouva seule.
Elle se repentait déjà de sa résolution ; mais elle était en proie à une épouvante plus cruelle que son repentir ; elle s’efforçait de chasser une pensée affreuse qui s’élevait dans son cœur. — Elle croyait aimer déjà moins le peintre en croyant le trouver moins estimable.
(La suite à la prochaine livraison.)