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Page:Balzac - Pensées, sujets, fragments, éd. Crépet, 1910.djvu/19

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Mais lorsqu’on a vaincu leur constante énigme, introduit de l’ordre dans tout ce désordre et pénétré, si je puis dire, la mécanique de ce carnet, on oublie l’aridité de son labeur. Notre texte, en effet, dépasse, et de beaucoup, les promesses de son titre. Non seulement on y trouve, avec trente ou quarante plans abandonnés, plusieurs des plus célèbres romans de Balzac en leur schéma originel, et quelque cent cinquante pensées inédites avec une centaine d’autres qui ont pris place dans la Comédie humaine, mais il constitue un véritable mémento-journal, à la fois livre de comptes, agenda et « crachoir d’or », — pour employer la pittoresque expression dont Paul de Saint-Victor peignit les Disjecta membra de Barbey d’Aurevilly, — un capital « garde-manger », rectifierait Laure Surville, selon son illustre frère[1], — où la vie palpite avec l’œuvre, où l’homme transparait dans l’auteur, où sont jetés, pêle-mêle et au jour le jour, programmes de travaux, recherches de style, listes d’amis, mots entendus, anecdotes typiques, bilans budgétaires, etc., etc. Ici l’inédit voisine avec l’édité, le roman avec le drame, la politique avec la religion, des considérations sur l’amour avec des préceptes littéraires ; une coupure de journal interrompt une suite d’aphorismes, une fleur séchée ouvre ses pétales décolorés au bas d’un canevas de pièce, une citation virgilienne jaillit d’un plan d’habitation, et il arrive que la callipygie d’une grosse dame fasse reculer le flot des notes… C’est un document littéraire inestimable et c’est aussi un document biographique de premier ordre.

Au reste, j’en dirai plus sur son importance par deux cita-

  1. Voir l’étude biographique dont est précédée la Correspondance.