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ÉSOPE

Aurait versé mon sang comme pour le tarir, —

Rhodope

Un peuple ne meurt pas, s’il ne veut pas mourir !

Crésus

Il est gisant, glacé, terrassé dans les rêves ;
Mais au bruit que feront, en se heurtant, les glaives,
Pâle, et rouvrant ses yeux, qu’une brume voila,
Il se peut qu’il s’éveille et dise : Me voilà !
Et de nouveau le fer luit dans les mains farouches ;
Un même cri sort à la fois de mille bouches ;
Il éclate, pareil au bruit des flots mouvants, —

Rhodope

Et ceux que l’on croyait des morts, sont des vivants !

Ésope, à Crésus.

C’est toi dont le regard fait naître l’épouvante.

Rhodope

La Victoire, à ta voix docile, est ta servante.

Ésope

Donc, étant le Roi, sois terrible et radieux.

Rhodope

Et quand viendra le jour des grands combats, les Dieux
Regarderont d’en haut, s’envoler tes quadriges,
Et ne t’effraieront plus avec de vains prodiges !

Crésus

Dissipez-vous, terreurs vaines ! Je suis le Roi
Crésus, et je prétends être digne de moi.
Oui, quand nous marchons, c’est le danger qui recule
Et mon aïeul a pris le trône aux fils d’Hercule.
D’abord, allons au plus pressé. Je veux savoir
Au plus tôt, quelles sont mes ressources, et voir
Les ministres.

(À Rhodope).

Mais toi, Rhodope, aube vermeille,
Qui reflétant l’éclat de la rose es pareille
Aux Déesses du ciel, que tu me rappelas,
Va, loin du clair soleil, reposer tes yeux las