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ÉSOPE

Vous vivez en repos, sous mon règne absolu.
Écoutez maintenant ce que j’ai résolu.
Un homme s’est trouvé qui, né dans la Phrygie
A reçu des dieux la sagesse et l’énergie.
Combattant la misère, abattant le gibet,
Il a sauvé l’État, qui déjà succombait.
Je lui donne pouvoir sur toutes les provinces,
Il dominera les gouverneurs et les princes.
Vous le voyez vêtu de pourpre comme moi,
Et je me suis dit son obligé, moi, le Roi !

(Montrant Ésope).

C’est Ésope. Il était caché dans l’ombre noire.
Mais je l’ai mis dans la lumière et dans la gloire.
Je veux l’asseoir sous les victorieux piliers
Du trône, près de mes grands lions familiers,
Et plus tard, j’ai tant de royaumes ! — qui sait ? même
Attacher sur son front loyal un diadème !
Car, voulant choisir un héros, j’ai réussi.
Donc, son nom vénéré doit resplendir, et si
Quelqu’un se souvenait, dans un jour de folie,
De ce que fut Ésope autrefois, qu’il l’oublie !

Ésope, s’agenouillant aux pieds de Crésus qui, d’un geste ami, le relève.

Ô mon Roi !

Orétès, s’avançant, à Crésus.

Ô mon Roi ! Je suis la poussière que le vent,
Avec sa fraîche haleine, éparpille devant
Tes pieds divins. Pourtant, comme c’est mon envie,
Je le parlerai, fût-ce aux dépens de ma vie.
Un monstre est le jouet de ses lâches amours,
Et comme Ésope était esclave, il l’est toujours.
Oui, chacun l’a pu voir esclave en cette ville,
Et rien n’est transformé dans son âme servile.

(À Ésope).

Ésope, c’est en vain que tu dissimulas.

Crésus, à Orétès.

Quoi ! C’est toi que j’entends, Orétès ? Es-tu las
De vivre ?