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LES EXILÉS

Tel il avait grandi, sans que nulle aventure
Entamât une fois sa frondaison obscure,
Et sans que la bataille humaine aux durs éclairs
Tourmentât follement ses lacs profonds et clairs.
Les aloès, les grands tulipiers aux fleurs jaunes
Vivaient sans avoir vu les Nymphes et les Faunes
Qui brisent des rameaux pour en orner leur front.
Les énormes jasmins fleurissaient sans affront ;
D’autres arbres mêlaient, comme un riche cortège,
Des corolles de sang à des feuilles de neige.
Au fond d’un antre noir d’érables entouré,
Tout à coup surgissait un fleuve enamouré,
Mystérieux, baisant ses rives délicates
Et, par endroits, bordé de lotus écarlates.
Puis des rocs ; puis des monts neigeux, où les torrents
Charriaient des rubis ; dans les lointains mourants,
On ne sait quel flot bleu passe, et traverse encore
L’insondable océan de verdure sonore.
Là, la Création gigantesque apparaît
Toute nue. Un figuier plus grand qu’une forêt
Enfonce avec fierté, grand aïeul solitaire,
Trois cents troncs effrayants dans le cœur de la terre
Pour y prendre le suc de ses fruits au doux miel,
Et par mille rameaux boit la clarté du ciel.
Puis une fleur qui, même auprès du figuier, semble
Prodigieuse, au fond d’un calice qui tremble
Garde assez d’eau de pluie, alors que la forêt
Brûle, pour faire boire un Titan qui viendrait.