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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/101

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LES EXILÉS

Ses boutons, sur lesquels un épervier se pose,
Qui paraissent des blocs polis de marbre rose,
Et que ne peut ouvrir le soleil étouffant,
Ont déjà la grosseur d’une tête d’enfant.
La vigne monstrueuse étreint les arbres comme
Un lutteur, puis en troncs pareils à des corps d’homme
Retombe, puis remonte et va bondir plus loin.
La végétation en démence n’a soin
Que de cacher le ciel avec ses créatures.
Le feuillage se dresse en mille architectures,
Forme une colonnade aux corridors profonds,
Sur les pics effarés pose de noirs plafonds,
Tapisse l’antre, grimpe aux montagnes, s’élance
Dans l’air bleu, tout à coup éclate en fers de lance,
Puis, noire frondaison que l’œil en vain poursuit,
Devient un néant fait de verdure et de nuit,
Là ruisselle de pourpre et d’argent, partout maître
Du sol, dans la liane en courant s’enchevêtre ;
Et des gémissements, des hurlements, des cris
Retentissent. Au bas des lourds buissons fleuris,
Des prunelles de flamme, ainsi que des phalènes,
S’allument, et l’on sent se croiser des haleines.
Aux racines traînant leurs cheveux, sont mêlés
Des reptiles ; dans les rameaux échevelés
Volent de grands oiseaux peints d’azur et de soufre ;
Des yeux rouges parmi l’obscurité du gouffre
Luisent, et les petits des louves dans leurs jeux
Se détachent tout noirs sur un plateau neigeux